Si vous aimez la science, l'aventure et la vie au grand air,
précipitez vous sur ce pavé (380 pages) où Jon Kalb raconte ses
recherches en Éthiopie, à fouiller la
dépression de l'Afar, à la recherche de
fossiles. Si vous voulez garder de la science l'image d'une activité
pure et désintéressée, par contre, passez votre chemin, car vous aurez
droit dans ce livre à pas mal de réglements de compte entre les
différents camps qui se sont violemment affrontés en Afrique orientale,
pour la découverte de fossiles humains (car personne ne s'intéresse
aux autres).
Commençons par la science : la dépression de
l'Afar est située en plein sur le rift africain et est très
riche en fossiles. Dans les années 1970, de nombreux
chercheurs s'y sont précipités, pour dresser la carte de son originale
géologie et pour trouver des fossiles humains car l'âge
des terrains qui émergent est à peu près celle de l'apparition de
l'homme. Cette course a culminé dans la découverte de la fameuse
Lucy en 1974. Outre les
australopithèques, l'Afar, aujourd'hui très
stérile, recèle des fossiles
d'innombrables animaux dont beaucoup d'éléphants, bien pratiques car
leurs dents sont de grande taille, se conservent bien, et sont très
différentes d'une espèce à l'autre. On peut donc facilement dater un
terrain dès qu'on y trouve des molaires
d'éléphant. L'Afar est donc, malgré les conditions climatiqus qui y
règnent, un paradis pour les
paléontologues.
Continuons avec l'aventure : les conditions de travail sont
évidemment mauvaises. Il faut se déplacer dans des régions peu
cartographiées, arides, au milieu des nomades turbulents et prompts à
considérer (souvent à juste titre) l'arrivée des blancs comme prémisse
de gros problèmes. Les Land Rover tombent
souvent en panne, les voleurs attaquent le camp la nuit, les rivières
sont à sec quand on a soif et débordent soudainement en pleine nuit.
L'aventure serait belle si elle se déroulait dans un climat de
fraternité entre tous ces hommes de science attirés uniquement par le
désir de connaitre. Mais ce n'est pas le cas : les rivalités
professionnelles, l'influence d'un pays où le fusil est souvent la
seule loi, et la dureté des conditions de vie, finissent par corrompre
les meilleurs, et les ramener souvent à la mentalité de la jungle. Les
affrontements sont fréquents, les haines se développent. Après avoir
travaillé ensemble, Kalb et Johanson (le
découvreur de Lucy) sont devenus ennemis et aucune mesquinerie de leurs
conflits ne sera épargnée au lecteur. Personnages secondaires dans le
livre, les français Maurice Taïeb et
Yves Coppens en prennent également pour leur
grade, surtout le premier. Il doit être intéressant de comparer leurs
livres avec celui de Kalb... La dynastique famille Leakey
est par contre traitée plus favorablement.
Et la politique ? Deux fils s'entrecroisent dans le livre, la fin
de l'empire éthiopien, avec les dernières années du règne
d'Hailé Sélassié, puis la chute de l'ancien
régime, puis la prise du pouvoir par le dictateur
Mengistu, et, second fil, les utilisations de
la politique locale, ou de celle des organismes de recherche aux
États-Unis, pour mettre des bâtons dans les
roues des concurrents. Le tout se terminera, comme souvent aux
États-Unis, par un procès en bonne et due forme de Kalb contre la
NSF, qui avait refusé de financer ses fouilles,
après une campagne de Johanson. Dans des pays comme l'Éthiopie ou le
Kenya, qui ne sont pas des états de droit, il
est bien tentant d'utiliser les autorités locales pour bloquer les
demandes de permis de fouille des autres, voire les faire expulser du
pays.
J'apprécie le récit très détaillé des fouilles, des subtiles
difficultés techniques de l'identification d'un squelette, du problème
de faire fonctionner des équipes multinationales ou de mener une vie
de famille à Addis-Abeba. Quant à la violence
des relations entre chercheurs, je la préfère dans la fiction, comme
dans l'excellente nouvelle The
gift, du même auteur.