Vous voulez changer de monde ? Revivre l'épopée de la
flibuste dans votre assiette ? Tester des
saveurs nouvelles ? Pratiquer la cuisine et l'histoire en même temps ?
Vous avez du temps libre, des cochons sauvages qui passent de temps en
temps dans votre jardin et des bananes plantain
qui y poussent ? Alors, larguez les amarres, hissez les voiles et
entamez la lecture du livre de Mélani Le Bris,
« La cuisine des flibustiers » (éditions Libretto).
Érudite et cuisinière, Mélani Le Bris s'est lancée dans un livre de
cuisine original, un livre de la cuisine des flibustiers et autres
pirates. Compilées à partir de récits comme ceux de l'inénarrable
Père Labat (un curé qui se préoccupait
nettement plus de son ventre que de son âme), testées de nos jours,
ses recettes sont loin d'être faciles à réaliser aujourd'hui,
lorsqu'on habite une grande ville, par
exemple lorsqu'il faut rôtir le cochon sur la plage pendant des
heures !
Mais, même si vous manquez de courage pour les recettes de boucanier, les récits
vous feront rêver. Les pirates ne passaient pas tout leur temps à
piller et massacrer, ils se préoccupaient également de dépenser leur
argent dans des bombances gigantesques. Et ils développèrent une
tradition culinaire spécifique. Contrairement aux colons qui mettaient
un point d'honneur à manger comme en Europe, avec des aliments
importés à grand frais, les flibustiers ne pouvaient pas trop faire
les difficiles et devaient se nourrir avec ce qu'offrait le pays. Leur
cuisine fut très influencée par celle des
indiens et des marrons,
les éventuels préjugés racistes des pirates ayant vite cédé devant la
nécessité de trouver des alliés, des observateurs, et des gens qui
puissent les guider dans la richesse, mais aussi les dangers, des
nourritures locales.
Pour donner une idée du style de l'auteure, voici une partie de sa
présentation du piment : « Le feu même de la
création, avant qu'elle se repose, la lave encore bouillante dans le
cratère du monde naissant. Et tant de saveurs révélées, passé le choc
de la première rencontre ! Qui a goûté au feu des pimentades bientôt
ne s'en passera plus ».
Vous voulez un exemple de recette ? « Faire mariner le
requin dans le jus de citron vert additionné de
l'oignon émincé, du thym effeuillé, de la gousse d'ail et du morceau
de piment haché. Laisser macérer 1 à 2 heures. [...] Faire chauffer
l'huile à feu moyen et frire les beignets jusqu'à ce qu'ils prennent
une belle couleur brune. [...] Sortir le requin de sa marinade, le
rincer dans l'eau froide et le tremper dans l'assaisonnement, puis
dans le mélange de farine, poivre, sel et origan. Plongez les steaks
de requin dans l'huile [...] Disposer chaque
steak de requin dans un beignet chaud, assaisonner à volonté de Shadow
Bennie Sauce (voir p. 52) ou autres pimentades. ».
Les pirates et flibustiers ne mangeaient pas que des plats aussi
hots. Ils adoraient aussi les desserts, facilités
par l'abondance de sucre aux Caraïbes et le
chapitre sur les desserts a de quoi faire saliver, même si l'auteure
note que la mort précoce et violente de la plupart des pirates leur a
sans doute épargné beaucoup de caries... Pour ce chapitre, l'auteure
cite largement Caroline Sullivan, la Ginette Mathiot de la cuisine caribéenne.
Si le livre vous a plu, je recommande également très fortement
celui du père de l'auteure,
Michel Le Bris, « D'or, de rêves et de sang »,
une analyse très pertinente du phénomène de la flibuste, qui n'était
pas uniquement motivée par l'argent, mais qui avait aussi une solide
base religieuse (les premiers flibustiers étaient tous
protestants) et politique.