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Fiche de lecture : La Dame Blanche et l'Atlantide

Auteur(s) du livre : Jean-Loïc Le Quellec
Éditeur : Éditions Errance
978-2-87772-409-8
Publié en 2010
Première rédaction de cet article le 31 mai 2010


En science, comme ailleurs, on voit surtout ce qu'on veut voir. Sinon, comment expliquer que tant d'experts se soient égarés sur l'interprétation de la fresque préhistorique de la Dame blanche du Brandberg ? C'est leur histoire que raconte Jean-Loïc Le Quellec dans un livre passionnant, d'art et d'aventure, de science et de politique.

Le très beau livre de Le Quellec commence logiquement par la découverte de la fresque. En 1917, Reinhard Maack découvre en Namibie une superbe fresque préhistorique. Le personnage central (futur « Dame blanche ») attire les regards, et Maack lui trouve un air égyptien ou en tout cas méditerranéen. Avant de le blâmer, il faut préciser que Maack, comme d'autres protagonistes de l'histoire, n'est pas resté dans un bureau confortable avec accès Internet. Il est allé sur le terrain, dans des conditions matérielles difficiles, et a dû travailler sans matériel moderne, dans une grotte qui n'était pas aussi bien éclairée qu'un musée. Bref, on comprend que sa première impression aie pu être fausse. Mais son interprétation rencontrera immédiatement un grand succès : rapidement, la théorie que ce personnage est une femme de race blanche s'impose, et on lui trouve des parentés avec les égyptiens, les crétois et même, n'ayons peur de rien, avec les atlantes. Rien n'étayait ces interprétations mais elles ont pourtant été largement acceptées par la plupart des experts (comme Raymond Dart), les (nombreux) sceptiques gardant juste un silence prudent.

C'est que l'époque se prêtait à ces théories. Politiquement, c'était le point culminant de l'entreprise colonialiste. Celle-ci nécessitait un substrat idéologique, la conviction que les noirs étaient incapables de toute civilisation. En voyant une blanche dans le personnage central, et en lui trouvant une origine extra-africaine, on justifiait la colonisation comme un simple retour des européens dans une région que leurs ancêtres avaient déjà « civilisée ». La même démarche était à l'origine des théories fantaisistes sur les fondateurs du Grand Zimbabwe, assimilé à Ophir et supposé être construit par la reine de Saba, voire par Salomon lui-même.

Et il n'y avait pas que l'archéologie qui était influencée par cette entreprise. Les chapitres les plus passionnants du livre détaillent la place que ces théories de « cités perdues », construites par des grecs, des romains ou des atlantes au cœur de l'Afrique, occupaient dans la littérature de l'époque. Rider Haggard et Burroughs en anglais, Benoit en français, et des dizaines d'autres auteurs moins célèbres ont brodé à l'infini sur ce thème. Souvent, ces romans appelaient la science à leur aide pour fournir des notes de bas de page savantes ou des discours pseudo-scientifiques d'explication. Que la littérature utilise la science, c'est normal (et je suis plus indulgent là-dessus que Le Quellec qui parle de manière assez méprisante de « procédé »). Mais le plus grave est que la science s'est laissé entrainer, a oublié la distance entre le roman et la réalité, et que des experts comme l'Abbé Breuil (avec sa pittoresque collaboratrice Mary Boyle) ont cru dur comme fer à ces fictions, au point de chercher à tout prix à les retrouver dans la réalité.

Cela leur a fait oublier la plus élémentaire prudence scientifique. Oublier que, sur la plupart des fresques murales, les couleurs sont purement conventionnelles, reflétant par exemple le statut social (et la dame blanche n'est donc pas de race blanche). Oublier que distinguer un homme d'une femme sur une peinture n'est pas aisé, lorsque la civilisation qui a fait ces peintures n'avait pas les mêmes critères de représentation extérieure du genre que nous. Oublier le risque de la subjectivité quand on relève un dessin presque effacé et que la main de l'artiste ajoute les détails que son œil n'a pas pu voir. Le Quellec publie plusieurs fois des photos détaillées des peintures, accompagnées des relevés faits par les chercheurs, ce qui permet de juger du manque de rigueur de celui qui a fait le relevé, omettant des détails gênants (comme le pénis de la soi-disant dame) ou ajoutant ceux qui manquaient.

Comme le rappelle Le Quellec « les mythes ne s'identifient bien qu'avec une prise de distance, dans l'espace ou dans le temps ». Le lecteur du 21ème siècle voit bien les œillères idéologiques qui aveuglaient Breuil, alors qu'il ne distingue probablement pas celles d'aujourd'hui...

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