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Fiche de lecture : Guns, germs and steel

Auteur(s) du livre : Jared Diamond
Éditeur : Norton
978-0-393-31755-8
Publié en 1997
Première rédaction de cet article le 12 mars 2012


Un livre très ambitieux de Jared Diamond, puisqu'il s'agit d'étudier en un seul bouquin les causes du succès militaire de certaines civilisations sur d'autres. Pourquoi Pizarre a-t-il conquis l'empire inca au lieu que ce soit Atahualpa qui s'empare de l'Espagne et fasse prisonnier Charles Ier ? Pourquoi, demande un ami papou de l'auteur, les Européens ont-il envahi la Nouvelle-Guinée, alors que celle-ci était peuplée depuis aussi longtemps que l'Europe ? Un extra-terrestre qui aurait visité la Terre vers 5 000 avant notre ère aurait eu bien du mal à dire sur quel continent naîtrait les armées les plus puissantes.

Je ne pense pas qu'il puisse y avoir une seule réponse à des questions aussi complexes. Et Diamond est prudent, notant bien qu'on ne peut pas tout expliquer dans un seul livre, même de 500 pages. Sa thèse se déploie en deux parties. D'abord, la constatation que ceux qui ont envahi les autres étaient ceux qui avaient trois armes importantes : les fusils, les microbes et l'acier. Les fusils, bien sûr, car, dans la plupart des rencontres armées, ils ont assuré la victoire. L'acier car, même si on n'a pas de fusils, c'est lui qui est à la base de toute industrie. Et les microbes car, dans les guerres d'invasion, ils ont tué bien plus de monde que les fusils. L'empire inca était déjà ravagé par les maladies lorsque les conquistadores sont arrivés. Et la civilisation indienne du Mississipi a complètement disparu sans qu'un Européen n'ait eu à tirer un coup de feu : les germes ont suffi.

Mais, dit Diamond, cela ne fait que repousser l'explication. Pourquoi les Européens avaient-ils des armes à feu et des armes en métal, et pas les Indiens ? Et pourquoi les micro-organismes pathogènes étaient-ils d'un seul côté (seule la syphilis aurait traversé l'Atlantique en sens inverse) ? Pour les armes, une réponse possible est que les Indiens (ou les Papous, ou les aborigénes australiens ou les autres colonisés) étaient moins intelligents que les Européens. Diamond n'a pas de mal à réfuter cette thèse raciste en comparant le sort d'un Papou lâché dans le métro de New-York avec celui d'un New-yorkais dans la jungle de Nouvelle-Guinée. Les deux se débrouilleront aussi mal... et aussi bien si on les laisse dans leur environnement habituel. Selon Diamond, la principale source de la différence réside dans l'agriculture. Bien sûr, elle existait en Amérique ou en Nouvelle-Guinée. Mais, plus limitée et apparue bien plus tard, elle ne pouvait pas nourrir de telles concentrations de population, et les royaumes des pays colonisés n'avaient pas eu le temps d'atteindre un stade de développement permettant de mettre au point acier et canons, contrairement à ce qui fut développé en Eurasie.

Pire, ces peuples n'avaient que peu ou pas d'animaux domestiques, ces animaux étant à la fois des armes de guerre (le cheval...) et surtout la cause de la résistance aux germes qui seront fatals à tant de peuples : vivant au contact étroit de nombreux animaux, les habitants du continent eurasiatique avaient depuis longtemps établi un modus vivendi avec les organismes pathogènes.

Mais pourquoi une agriculture intense et précoce en Eurasie et pas dans le reste du monde ? Ce n'est pas le climat (plusieurs régions d'Amérique, comme la Californie, abriteront une agriculture très productive après l'arrivée des Européens). Ce n'est pas un refus ou une incapacité des peuples locaux (ils adopteront souvent très vite les animaux ou végétaux européens, par exemple le cheval chez les Indiens d'Amérique du Nord). Selon Diamond, la raison principale est de disponibilité d'espèces domesticables. La plupart des espèces animales et végétales ne le sont pas et la preuve en est que très peu d'espèces se sont ajoutées au cours des siècles, à celles qui sont domestiquées ou cultivées depuis l'Antiquité. Je dois dire que c'est une des choses que j'ignorais complètement : tous les animaux ne sont pas domesticables, loin de là. La chance des Eurasiatiques a été que la plupart des espèces animales qui convenaient (notamment chez les grands mammifères) étaient chez eux. L'Eurasie avait également un gros avantage pour les végétaux (le blé est plus productif que le maïs américain). Les villes sont donc apparues plus vite, puis la technologie, puis les fusils.

Autre facteur qui a contribué au développement plus rapide des techniques en Eurasie, l'orientation du continent. Lorsqu'une masse terrestre est orientée Est-Ouest, comme l'Eurasie, hommes, plantes et animaux peuvent voyager en restant à peu près à la même latitude, donc au même climat. Les idées et les plantes et animaux cultivables et domestiquables peuvent donc se diffuser. Les Chinois domestiquent le poulet et l'Europe en profite rapidement. Les cochons sont domestiqués dans le Croissant fertile et les Chinois l'ajoutent à leur bétail quelques siècles plus tard. Toute l'Eurasie profitait donc des inventions mises au point sur le continent. (La théorie qui explique les différences entre les civilisations essentiellement par l'environnement est connue sous le nom de déterminisme environnemental.)

Au contraire, l'Afrique est plutôt orientée Nord-Sud, avec les barrières du Sahara et de la forêt équatoriale, qui empêchent les inventions agricoles de passer. Les cultures du croissant fertile n'ont ainsi atteint l'Afrique du Sud, où le climat méditerranéen leur convenait, qu'avec les bateaux européens.

Même chose en Amérique, où les empires aztéque et inca restèrent séparés. L'invention de l'écriture par les Mayas n'atteignit pas l'empire Inca (sans doute le plus vaste empire jamais créé sans écriture), et les animaux domestiques (chien au Nord, cobaye et alpaga au Sud) ne passèrent jamais d'un empire à l'autre.

La puissance que donnait l'agricuture, avec la production massive de nourriture, est illustrée chez Diamond par bien d'autres phénomènes que la colonisation. Ainsi, un chapitre passionnant explique le peuplement de l'Afrique par les fermiers bantous, qui ont peu à peu déplacé ou remplacé les anciens peuples (Pygmées et Hottentots). Même chose pour le peuplement de la Chine.

Donc, un livre touffu, qui vulgarise très bien plein d'idées intéressantes. La recherche scientifique future infirmera peut-être une partie de ces affirmations mais j'apprécie l'effort pédagogique de l'auteur et les innombrables voyages qu'il nous fait faire.

Dommage qu'il ait ajouté aux dernières éditions du livre un mot sur les extensions de ses idées au management des entreprises. C'est qu'on ne gagne pas tellement sa vie en étudiant les oiseaux en Nouvelle-Guinée. Diamond pose donc sa candidature pour une activité de consultant, payé pour ses conférences, et se sent obligé de faire une pseudo-analyse des succès de Microsoft...

Pour deux bons articles critiques (pas au sens négatif) sur ce livre, voir « The World According to Jared Diamond » et « History Upside Down ».

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