Thomas DeltombeManuel DomergueJacob TatsitsaLa découverte20112011-09-17
Ce livre est de loin le plus détaillé qui existe sur une guerre coloniale un
peu oubliée, celle qui a été menée au Cameroun
de 1955 à 1971. Éclipsée
par la guerre d'Algérie qui se déroulait au
même moment, la lutte des troupes françaises contre les nationalistes
de l'UPC s'est même prolongée après
l'indépendance (théorique) du pays, dans une relative indifférence. Si
cette guerre sans nom avait déjà été mentionnée (par exemple par
François-Xavier Verschave dans ses ouvrages),
on ne peut pas dire qu'elle soit bien connue des français
d'aujourd'hui, ni d'ailleurs des camerounais, qui n'ont eu droit qu'à
la version officielle. Ce fut pourtant une des très rares guerres
coloniales gagnées par l'armée française. Mais les méthodes utilisées
font que celle-ci a préféré ne pas trop se vanter de cette victoire.
Le Cameroun (l'orthographe « Kamerun » est
celle choisie par les nationalistes) était une colonie allemande, que
les français et les anglais se sont partagé après la
première Guerre mondiale. En théorie, il
s'agissait juste d'un mandat de la SDN, puis de
l'ONU et la Cameroun n'était pas officiellement
une colonie. En pratique, l'exploitation du pays ne fut guère
différente de ce qui arriva dans les autres colonies d'Afrique. Dans
les années 50, un mouvement nationaliste, analogue à celui qui
apparaissait dans d'autres pays occupés, se développa, et se rassembla
dans l'Union des Populations du Cameroun
(UPC, dirigée par Ruben Um Nyobe, qui sera assassiné
en 1958). Tout de suite, les colons français décidèrent que cette UPC
n'était pas fréquentable, ne pouvait pas être retournée (comme l'a été
le RDA de
Houphouët-Boigny) et la guerre commença très
rapidement. Ce fut une guerre coloniale classique, avec regroupements
forcés de la population, massacres un peu partout, utilisation massive
de collaborateurs locaux pour accomplir le sale boulot, tortures et
assassinats. Cette guerre se déroulant sans témoins (l'ONU,
normalement en charge de la tutelle, avait choisi de fermer les yeux),
il est très difficile, même aujourd'hui, d'en tirer un bilan
quantitatif. Le nombre total de morts de la guerre restera ainsi sans
doute à jamais inconnu. (Les auteurs notent avec honnêteté quand ils
n'ont pas pu établir un fait ou un chiffre ; c'est ainsi que
l'utilisation du napalm par l'aviation
française, dénoncée par les nationalistes, n'a pu être prouvée.) Il
n'y a sans doute pas eu de tentative de génocide, mais il ne
s'agissait pas non plus d'une « simple opération de police » contre « des bandits isolés » mais d'une vraie guerre, notamment en
Sanaga-Maritime et en pays bamiléké.
Cette guerre resurgit aujourd'hui à travers l'enquête menée par les
auteurs, deux journalistes et un historien. Ils ont fouillé les
archives (qui ne contiennent pas tout, notamment les opérations menées
par les forces supplétives sont nettement moins documentées), et
interrogé de nombreux témoins et combattants. Il était temps : au moins
un d'entre eux, le général Lamberton, est mort
juste avant que les auteurs ne lui demandent ses souvenirs. Il ne
« parlera » que via les notes qu'il prenait en marge des livres de sa
bibliothèque... Mais beaucoup d'autres ont parlé, des deux côtés, et
permettent ainsi de mieux comprendre l'ampleur de la guerre qui fut
menée pour empêcher une vraie indépendance.
Car le Cameroun a fini par devenir indépendant : l'UPC sérieusement
affaiblie, la France a fini par accorder l'indépendance à sa colonie,
en 1960, avec un gouvernement qui,
contrairement à l'UPC, comprenait les intérêts français, un vrai
gouvernement françafricain. L'« indépendance » n'a
pas mis fin à la guerre. Celle-ci a au contraire continué, menée cette
fois officiellement par l'armée camerounaise, encadrée de près par
l'armée française. Les derniers maquis n'ont été détruits que dix ans
après.
Aujourd'hui, tout cela semble bien lointain, les acteurs de
l'époque sont morts ou sont aujourd'hui à la retraite. Mais le système
françafricain tient toujours, ainsi qu'un de ses mythes fondateurs
comme quoi les indépendances en Afrique noire auraient été acquises
pacifiquement. C'est donc une bonne chose que les auteurs aient
sérieusement enquêté sur cette guerre, avant que toutes les traces
soient effacées. « Quand le lion aura sa propre histoire, l'histoire ne sera plus écrite par le chasseur. »
Le livre est completé par un site Web, où on trouve
par exemple les vidéos des interviews réalisés pour le film.
Rue89 avait publié un
très bon article sur ce livre.