Il existe de nombreux livres sur les outils et les techniques de
production de logiciels. Il y a beaucoup d'ouvrages sur la gestion de
projets logiciels. Mais il n'y avait guère de texte s'attaquant à la
gestion de projets de logiciel libre, qui est pourtant assez
spécifique (moins de camemberts et de diagrammes que dans les projets
commerciaux, mais davantage de communication et de textes).
Karl Fogel a déjà écrit un livre sur CVS et
a été un des développeurs de CVS et de
Subversion. Mais son mérite ici est autre : il
essaie d'expliquer comment fonctionne un projet de logiciel libre, du
point de vue technique bien sûr, mais aussi et surtout dans les
aspects humains.
Les textes précédents sur cette question étaient soient des
proclamations très biaisées (tout est super, tout le monde est heureux,
la liberté, c'est formidable) soit des productions très partielles, comme
le célèbre article d'Eric Raymond, The
cathedral and the bazaar, qui a l'avantage d'avoir été l'un
des tout premiers à expliquer comment sont produits les logiciels
libres, mais dont le principal inconvénient était de ne traiter qu'un
seul type d'organisation (le bazar), en oubliant que la principale
caractéristiques des logiciels libres est justement leur variété,
technique bien sûr, mais aussi organisationnelle. Karl Fogel n'échappe
d'ailleurs pas toujours à ce travers (pour des raisons évidentes, la
plupart des exemples concernent Subversion)
mais au moins il le reconnait.
Le livre couvre donc :
L'infrastructure technique du projet. Si les logiciels libres
n'utilisent pas MS project, ils dépendent néanmoins de beaucoup
d'outils comme le système de gestion de
versions.L'organisation du projet, analysée par notre
Montesquieu du logiciel libre. Le projet peut
être démocratique (au sens athénien du
terme, donc une démocratie réduite à une petite élite) ou bien géré
par un dictateur. (C'est le terme qui est utilisé, par exemple pour
Python. Loin des
hypocrisies de la gestion des ressources humaines, le monde du
logiciel libre aime bien appeler un chat un chat. Les administrateurs
de Wikipédia ont le titre officiel de "bureaucrates".)La question toujours délicate de l'argent et du
financement.La communication entre les développeurs, avec tous ses pièges,
s'agissant d'organisations internationales, et où l'ultima ratio de la hiérarchie n'est pas
toujours
possible.La gestion du personnel, celle dont le célèbre Andy Tanenbaum
prédisait, dans un débat mémorable en 1993 avec
Linus Torvalds, qu'elle serait l'écueil
sur lequel se briserait tout projet de logiciel libre.Les questions juridiques, licences, brevets, etc.
Sur tous ces points, Karl Fogel est un grand connaisseur et sait
toujours expliquer clairement les enjeux et les bonnes approches.
Un livre dont le but affiché est de servir aux auteurs de logiciel
libre mais qui peut être lu par toute personne qui s'intéresse à ces
projets qui semblaient utopiques il y a encore quinze ans. Ceux qui se
demandent "Comment est-ce que cela peut marcher ?" trouveront sans doute
des éléments de réponse dans ce livre.