Les brevets logiciels, légaux dans certains
pays, sont une source d'ennuis sans fin pour les organisations de
normalisation. En effet, l'intérêt évident du
détenteur du brevet est d'obtenir que des normes fassent référence
audit brevet, obligeant ainsi tous ceux qui déploient cette norme à
lui acheter une licence. L'intérêt des utilisateurs étant au contraire
que la norme ne soit pas plombée par des brevets, les
SDO déploient diverses mesures pour limiter les
dégâts. Pour les titulaires de brevet, la tentation est donc forte de
tricher comme vient de le faire RIM auprès de
l'IETF.
Les politiques des SDO sur les brevets
varient beaucoup. Certaines, comme OASIS,
laissent même chaque groupe de travail décider de sa politique.
Les attitudes possibles vont du refus absolu de normaliser une
technique encombrée par des brevets à leur acceptation moyennant
publication. L'inconvénient de la position dure est que, appliquée
strictement, il ne resterait plus rien de normalisable. La quantité de
brevets futiles est telle que toute technique un peu sophistiquée est
forcément couverte par des milliers de brevets, tous plus ridicules
les uns que les autres, mais qui sont quand même acceptés par les
offices de brevets, à la fois par incompétence et aussi parce que ces
organismes n'ont aucun intérêt à limiter le nombre de brevets, bien au
contraire.
L'IETF a donc une politique de brevets
fondée sur la divulgation
(disclosure). Cette politique, originellement
spécifiée dans le , est aujourd'hui exposée en détail
dans le mais, en deux mots,
elle consiste à accepter les technologies plombées par un brevet, tout
en imposant à tout participant à l'IETF de divulguer les brevets dont
il a connaissance, concernant tout sujet sur lequel se penche le ou
les groupes de travail auxquels il participe. Ces divulgations sont
ensuite publiées sur le site Web de
l'IETF.
Le but de cette politique est d'éviter les brevets
sous-marins. Il s'agit de brevets qu'une entreprise détient
mais dont elle n'informe pas la SDO, dans l'espoir que celle-ci
normalisera une technique brevetée... découvrant ensuite, mais trop
tard, que tous les utilisateurs devront payer une licence.
Cette politique est
présentée à chaque inscription dans une liste de diffusion de l'IETF
et répétée systématiquement lors des réunions physiques, sous le nom
de Note Well. On peut donc difficilement
l'ignorer.
Néanmoins, une telle tricherie vient
d'être découverte à l'IETF. RIM,
entreprise connue pour son gadget pour cadres sup', le
Blackberry, avait déposé une demande de brevet,
tout en travaillant à l'IETF à normaliser une technologie qui en
dépendait. Et cela sans divulgation, en violation directe de la
Note Well.
Pris la main dans le sac, les employés de RIM ont essayé de
prétendre que le réglement intérieur de leur entreprise ne leur avait
pas permis de communiquer sur ces demandes de brevet. Défense tout à
fait inappropriée puisque les règles de l'IETF sont claires et que la
participation à cette organisation est volontaire. Si on ne peut pas
en respecter les règles, on ne doit pas participer. Le président de
l'IETF, Russ Housley et l'avocat,
Jorge Contreras, l'ont rappelé nettement.
Mais il est vrai que le capitalisme n'est pas la démocratie. Dans
l'entreprise, il n'existe pas de liberté
d'expression, un employé ne peut raconter quelque chose à l'extérieur
qu'après avoir eu l'aval de trois juristes et cinq
vice-présidents. Cela a mené à des situations cocasses comme les messages rigoureusement identiques envoyés
par tous les employés de RIM à l'IETF. Tristes manifestations
d'unanimisme brejnevien.
Notez que, deux ans plus tard, Huawei
a fait la même chose que RIM dans le processus qui a mené au . Cette seconde violation grossière des
règles a mené à la publication de deux RFC, le , qui décrit les sanctions possibles contre les
tricheurs, et le , qui rappelle comment
encourager le respect des règles.
Ce n'est pas la première fois qu'il y a une collision entre les
règles de l'IETF et les principes de la communication
corporate. Par exemple, l'IETF avait déjà dû
refuser les ridicules ajouts juridiques aux courriers que certaines entreprises mettent
systématiquement. Comme, selon le mot de John Levine, les juristes recommanderont toujours n'importe quoi, quel que soit son coût, pour se prémunir contre n'importe quel risque,
de tels ajouts sont
aujourd'hui fréquents. Il a donc fallu que l'IETF développe une
politique de refus de ces textes.