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À propos du débat sur la 5G

Première rédaction de cet article le 19 février 2020


Il y à en ce moment en France, et dans d'autres pays, un débat vigoureux sur le déploiement de la 5G. Je vous rassure, je ne vais pas donner un avis définitif sur tous les aspects de ce débat, mais il me semble que plusieurs points importants n'ont que peu ou pas été abordés.

5G est un terme qui regroupe un ensemble de techniques et de normes pour les télécommunications mobiles, techniques qui peuvent être déployées ensemble ou séparément. Les promoteurs de la 5G promettent des miracles, mais il y a des opposants.

D'abord, je voudrais dire que ce débat, cette friction, est une excellente chose. (Et c'est relativement récent.) Les techniques jouent un rôle crucial dans notre société, les techniques de communication sont partout et influencent fortement ce que nous pouvons faire ou ne pas faire, et il est donc très bien que les citoyens et citoyennes soient informés qu'un désaccord existe. Déployer ou pas la 5G est en effet un choix politique (politique au sens « concerne la vie de la société », évidemment pas au sens « qui sera ministre des Déclarations Ridicules à la Télé ».) Il n'y a pas de loi physique (ou sociale) qui ferait du déploiement de la 5G un événement inéluctable, comme la chute des pommes ou comme l'explosion de Bételgeuse. « On n'arrête pas le progrès » est une phrase idiote, d'abord parce que toute nouvelle technique n'est pas forcément un progrès (ce peut être une régression) et ensuite parce que, justement, le progrès se décide. C'est le cas pour l'invention (ce qui se fait dans les labos, et qui dépend des thèmes à la mode, et de leur financement) et encore plus pour l'innovation (le déploiement hors des labos, qui nécessite des investissements lourds et donc des décisions difficiles.)

Donc, le débat actuel sur la 5G est une bonne chose. Mais sur quoi porte-t-il ? Les partisans de la 5G mettent en avant :

  • Les performances accrues, en capacité et surtout en latence,
  • La possibilité de nouveaux services, par exemple pour les objets connectés, via des nouveautés comme une qualité de service garantie.

Les opposants critiquent (j'ai essayé de faire une liste exhaustive, mais il faut bien noter que tous les opposants ne partagent pas tous ces arguments) :

  • Les risques d'espionnage liés au fait que les équipements 5G sont souvent fabriqués par des entreprises chinoises, notamment Huawei, qui fait en ce moment l'objet d'une campagne menée par le gouvernement des États-Unis,
  • Plus généralement, le risque de perte de souveraineté lié à cette dépendance vis-à-vis d'un fournisseur chinois,
  • Les problèmes de santé liés au rayonnement électromagnétique,
  • Les problèmes écologiques liés à la consommation énergétique des nombreux équipements nécessaires (puisque la portée de la 5G est inférieure, il faudra davantage de stations de base),
  • Lié au précédent, le problème philosophique du « progrès ». Voulons-nous de cette course à la communication toujours plus rapide ?

Ah et puis il parait que la 5G peut aussi poser des problèmes aux prévisions météo mais je n'ai pas creusé la question.

Je ne vais pas faire un dossier complet sur la 5G, sujet sur lequel je ne suis pas un expert. Mais je voudrais mettre en avant quelques points qui, il me semble, ont été un peu oubliés dans le débat. Je vais suivre l'ordre des arguments donnés ci-dessus, en commençant par les arguments « pour ».

Sur les performances, il est important de rappeler que le vécu d'un utilisateur ou d'une utilisatrice ne dépend pas que de la 5G. Quand M. Michu ou Mme Toutlemonde, dans la rue, regarde le site Web de Wikipédia, le résultat final, en terme de performances, dépend de toute une chaîne, les performances des deux ordinateurs aux extrémités, celles du réseau mobile, mais aussi celles de tous les liens Internet entre M. Michu et Wikipédia. Le goulet d'étranglement, le point le moins performant et qui limite la performance globale, n'est pas forcément le réseau mobile. Par exemple, les sites Web modernes nécessitent souvent des calculs complexes pour leur affichage, et la rapidité de chargement des fichiers n'y changera rien. Dire « la 5G permettra d'accélérer la visualisation des pages Web » est au mieux une simplification, au pire un mensonge publicitaire.

Et puis ces performances mirifiques sont très théoriques : elles reposent sur des comparaisons faites en laboratoire, or les ondes sont très sensibles à l'environnement extérieur, et la réalité ne sera donc jamais aussi belle que la théorie. Regardez simplement comment, aujoud'hui, vous n'avez pas la 4G partout et que votre ordiphone se rabat souvent en 3G voire moins.

Concernant les services nouveaux, on a entendu beaucoup d'arguments marketing. Le record étant sans doute la promesse de pouvoir faire de la téléchirurgie via la 5G car elle offrirait « des garanties de service ». La réalité est moins rose : aucune technique ne peut promettre qu'il n'y aura jamais de panne. Faire de la téléchirurgie sans avoir de solution de secours (par exemple un autre chirurgien sur place) serait criminel, 5G ou pas 5G.

Il faut aussi rajouter que ces nouveaux services ne sont pas forcément quelque chose de positif. Globalement, la 5G est surtout poussée par les opérateurs de télécommunications traditionnels, qui sont historiquement des adversaires de la neutralité du réseau. La 5G, par la virtualisation du réseau, permettrait plus facilement de faire des services différenciés, donc probablement de violer ladite neutralité.

Et les arguments des opposants, ou des gens critiques vis-à-vis de la 5G ? Commençons par le risque d'espionnage, souvent mentionné, et qui a mené à une guerre commerciale entre le gouvernement étatsunien et Huawei. Grosso-modo, disent les inquiets, si on laisse faire, une grande partie des équipements 5G installés seront fabriqués par Huawei (puisque ce sont les moins chers), et Huawei aura donc la possibilité technique d'espionner tout le trafic. Le problème de cet argument, c'est que ce n'est pas mieux avec les fournisseurs non-chinois. Il faudrait être naïf pour croire que seul Huawei a des portes dérobées. D'autre part, le modèle de menace de l'Internet a toujours été qu'on ne pouvait pas faire confiance au réseau, car on ne peut pas évaluer la totalité de la chaîne. Le RFC 3552 en déduit logiquement que la sécurité doit être de bout en bout, donc qu'il faut chiffrer la communication de bout en bout, 5G ou pas, Huawei ou pas. (Rappelez-vous que le lien 5G n'est qu'une partie de la chaîne qui connecte deux personnes qui communiquent et qu'analyser la sécurité en ne regardant que la 5G serait une sérieuse erreur.) Évidemment, ce point de vue comme quoi le chiffrement de bout en bout est indispensable n'est pas partagé par les opérateurs de télécommunications, qui voudraient bien continuer à surveiller le trafic (cf. RFC 8404.)

D'autre part, il n'y a pas que le fournisseur de matériel, il y a aussi les boites qui gèrent le réseau, et, là, la sous-traitance est fréquente, et la perte de compétence inquiétante, comme le démontre l'excellent article de Bert Hubert.

Si le chiffrement protège bien contre la surveillance, il ne protège pas contre les dénis de service. Que se passe-t-il si un ordre venu de Beijing bloque subitement toutes les commmunications ? Le problème est réel (mais bien moins cité que celui de confidentialité, pourtant plus facile à résoudre.) Pour ce problème, en effet, le choix du fournisseur des équipements 5G est crucial mais, comme on l'a dit, les Chinois n'ont pas le monopole des portes dérobées. La solution ici, nécessite au minimum de n'utiliser que du logiciel libre dans les équipements de communication, afin de pouvoir les évaluer, mais on en est loin.

Et les conséquences sur la santé ? La question est très difficile à analyser car on a peu d'études scientifiques sérieuses sur la question. (PS : si vous avez une bonne bibliographie sur ce sujet, n'hésitez pas à me la communiquer. Il y a entre autres cette étude de l'IARC et cette synthèse des Décodeurs du Monde ainsi que l'étude de l'ICNIRP.) Il ne fait aucun doute que les ondes électromagnétiques peuvent être dangereuses (exposez-vous au soleil au Sahara sans protection et vous constaterez douloureusement que les ondes font parfois mal.) La question est de savoir dans quelles conditions (fréquence, puissance, durée d'exposition, etc.) Si les ondes ont vraiment un effet sur la santé, cet effet dépend forcément de ces conditions, et les discours anti-ondes sont toujours muets sur ce point. La recherche en ce domaine est d'autant plus difficile qu'il est possible que les éventuels effets médicaux soient à long terme, surtout pour des doses faibles. Et le débat est brouillé par des « anti-ondes » qui racontent n'importe quoi sur le Web, parfois relayés par des médias peu rigoureux, et par des commerçants charlatans qui cherchent à placer des remèdes miracles. On est rarement dans la rationalité ici, les effets, pourtant, eux, bien connus, de la pollution due au trafic routier ne suscitent pas la même mobilisation que « les ondes ».

Voyons maintenant l'argument écologique. Les fréquences utilisées par la 5G portent moins loin, il va falloir davantage de stations de base (ce qui va poser d'intéressants problèmes de main d'œuvre), donc a priori davantage de consommation énergétique. Mais en contrepartie, la puissance dépensée par chaque base sera inférieure, donc les partisans de la 5G avancent qu'elle pourrait diminuer la facture énergétique. J'avoue ne pas connaitre les chiffres exacts. (Là encore, si vous avez des études sérieuses, je prends. Je connais déjà cet exposé détaillé de la Commission Européenne et l'étude de Jancovici souvent citée.) Je vais donc passer mon tour sur ce point. Notez que, comme souvent dans les débats techniques, on voit parfois passer des erreurs qui font douter de la qualité générale du texte. Par exemple dans ce document de la GSMA, on lit « can potentially increase cell energy consumption from 5-7 kW per 4G site per month to over 20 kW », mélangeant puissance (en watts) et énergie (en joules ou à la rigueur en watts*heures.)

Notez aussi qu'une conséquence du déploiement de la 5G serait sans doute le grand remplacement des terminaux (les ordiphones) et que cela a un coût (les équipements informatiques ont une empreinte écologique bien plus forte lors de la fabrication que lors de l'utilisation. Éteindre l'appareil qu'on n'utilise pas, c'est bien, ne pas le remplacer trop vite, c'est mieux.)

Il reste un dernier argument contre le déploiement de la 5G, l'argument qu'on pourrait appeler « philosophique ». En gros, en a-t-on besoin ? Le débat ne peut évidemment pas être tranché par la technique ou par les experts. D'un côté, on peut dire que l'augmentation des performances (dont on a vu qu'elle n'était pas garantie) est un but en soi. Après tout, chaque fois qu'on a augmenté les performances des ordinateurs et des réseaux, on a trouvé des usages (pas forcément souhaitables…) à cette augmentation. D'un autre côté, il n'y a pas de loi fondamentale disant que cela devrait continuer éternellement. Contrairement aux prévisions de la science-fiction, voitures volantes et avions à propulsion nucléaire ne se sont pas généralisés. Donc, le « progrès » n'est pas automatique. La question de fond est « qui va décider ? » Comment se font les choix qui impactent toute notre société ? Qui a décidé de déployer la 5G, et pour quels intérêts ?

Autres lectures pour s'informer :

  • Jérôme Nicolle a fait un excellent fil Twitter, en français, et en anglais (la version en anglais étant un peu plus détaillée) faisant le tour de tous les arguments.
  • Je n'ai guère parlé des aspects sécurité / vie privée / surveillance mais le Parlement s'en est préoccupé, craignant que la 5G ne rende plus difficile cette surveillance.

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