Un livre à grand succès, que tout le monde cite, pas forcément
correctement. Collapse (Effondrement, dans l'édition
française) raconte le sort de plusieurs civilisations qui ont
disparues ou quasiment disparues, parce qu'elles n'ont pas su réagir
et qu'elles ont tenu à continuer dans une mauvaise voie.
Jared Diamond est un biogéographe très
connu, déjà auteur d'autres livres largement
diffusés. Collapse est un gros livre mais raconté
avec tellement de verve et d'érudition qu'on ne voit pas le temps
passer en le lisant. Plusieurs civilisations disparues sont
successivement étudiées, des Vikings
du Groenland aux Mayas
d'Amérique Centrale en passant par l'île de Pâques. Sans oublier des civilisations qui
se sont sorties de crises écologiques graves, comme les papous de
Nouvelle-Guinée ou qui s'en tireront peut-être
comme les États-Unis d'ajourd'hui (Diamond étudie en détail le
Montana et, de manière plus rapide, la région
de Los Angeles).
À chaque fois, l'auteur nous décrit une civilisation brillante,
sûre d'elle, et qui fonce avec obstination vers l'abîme, situé en
général juste après le moment de plus grand rayonnement.
Un des points importants de Diamond est que ces
civilisations disparues n'étaient pas forcément plus stupides ou plus
ignorantes que la nôtre. Les erreurs qu'ils ont commises,
l'aveuglément dont ils faisaient preuve, étaient dus à des facteurs
qui existent aussi dans nos civilisations modernes. Si nous avons des
avantages sur eux (nous savons davantage de choses), nous avons aussi
des faiblesses plus graves (Diamond rappelle que les habitants de
l'île de Pâques ont réussi à anéantir leur forêt avec seulement des
haches de pierre et s'inquiète de ce que nous pourrions « réussir » à
faire avec nos outils modernes).
Beaucoup de compte-rendus de Collapse ont
insisté sur le côté pittoresque et ridicule de certaines décisions
qu'avaient prises nos prédécesseurs (comme les Vikings du Groenland
s'obstinant à construire d'immenses églises, dans un pays où le bois
est plus rare que l'or, ou encore refusant de manger du poisson, alors
que leurs bateaux naviguaient dans des eaux parmi les plus
poissonneuses du monde). Mais Diamond s'oppose tout à fait à cette
vision simpliste et rassurante, qui nous permettrait à nous,
occidentaux d'aujourd'hui, de nous moquer des sauvages stupides des
siècles passés. Il affirme que nos décisions ou non-décisions
d'aujourd'hui, par exemple en ce qui concerne la lutte contre le
réchauffement planétaire, apparaitront tout
aussi ridicules dans le futur. Et qu'aucun effondrement ne peut être
imputé à une cause unique. Le fanatisme religieux des Vikings du
Groenland a certainement joué un rôle dans leur disparition (par
exemple, en leur faisant refuser d'apprendre quoi que ce soit des
Inuits, dont les compétences étaient ignorées
car ils étaient païens). Mais leur
civilisation, rappelle Diamond, a duré plus longtemps que le
peuplement anglo-saxon en Amérique du Nord. Et c'est peut-être
justement ce fanatisme religieux qui les a aidé à tenir si longtemps.
Diamond passe donc du temps à étudier les facteurs qui peuvent
aider à comprendre la disparition ou le maintien de certaines
civilisations. Son propos est nettement volontariste, comme le résume
le sous-titre du livre : les civilisations choisissent leur sort. Là
encore, Diamond voit beaucoup de solutions possibles, qu'il organise
en deux catégories. Les méthodes de bas en haut, comme l'extrême
démocratie pratiquée par les papous,
exaspérante pour un occidental, mais qui leur a permis de prendre les
décisions radicales exigées par la déforestation de leur île. Et les
méthodes de haut en bas comme celles, très autoritaires, utilisées par le
shogun au Japon pour sauver les derniers arbres
de l'archipel, avec succès.
Diamond mentionne notamment, parmi les facteurs aggravant,
l'inégalité. Chez les papous, les « grands hommes » (des sortes de
sages respectés) cultivent un lopin de terre identique à celui des
autres. Ils comprennent bien que leur sort est lié au sort commun. Au
contraire, dans des sociétés ultra-hiérarchisées comme celle des
Vikings ou des Mayas, les chefs pouvaient développer l'illusion qu'ils
échapperaient à l'effondrement final et n'avaient donc aucune
motivation pour tenter d'arrêter la catastrophe.
Un long article du Monde Diplomatique en
décembre 2007, s'attaque à ce livre en le présentant comme
l'inspirateur de la politique écologique de
Sarkozy. C'est mettre les choses à l'envers. Sarkozy cite Diamond (qu'il n'a peut-être jamais lu) parce que c'est un
auteur à la mode et parce que tout homme politique français se doit
d'avoir une vision planétaire et d'avoir lu de gros livres. Mais rien
n'indique que Sarkozy, l'ami des milliardaires, soit prêt à prendre
les mesures radicales que réclame Diamond, surtout si elles
s'attaquent aux intérêts du patronat.
(Le même article accuse aussi Diamond d'être un partisan caché d'un
génocide, simplement parce qu'il fait remarquer les risques de la surpopulation.)