Depuis que la technique est utilisée pour rendre la vie plus
pénible, il y a des résistances. Telle est, très résumée, la ligne
directrice de ce livre de François Jarrige. Si sa sympathie va plutôt
à ces résistants, l'intérêt principal de ce court livre est surtout de
dresser un tableau complet, quoique très résumé, des principaux
épisodes de la résistance au « monstre mécanique ».
Il est facile (et fréquent) de ricaner devant ces opposants, de les
disqualifier en les traitant de « luddites » et
de faire remarquer que, dans tous les cas, ils n'ont pas arrêté le
progrès, qui a fini par écraser (avec toutefois l'aide
de la police et de l'armée) toute résistance. Il y aurait
beaucoup à dire sur le thème « Avaient-ils raison ou pas ? » Après
tout, dans presque tous les cas de révolte « anti-machines »,
l'introduction des machines permettait effectivement un recul
considérable des conditions de vie et de travail des révoltés. Il ne
s'agissait nullement de la lutte du progrès contre le conservatisme
mais bien de lutte des classes. Mais ce n'est pas l'angle choisi par
François Jarrige qui cherche plutôt à montrer que les révoltes sont
anciennes, qu'elles ont toujours existé et que l'utilisation des
techniques modernes pour accroître l'exploitation a toujours suscité
des résistances.
Il part donc de l'antiquité (les Grecs
antiques refusaient-ils le progrès technique ?), puis continue
avec le Moyen Âge (refus des grands moulins,
non pas par pur aveuglément d'ignorants mais parce que ces moulins,
centralisés et chers,
marquaient surtout une conquête du pouvoir seigneurial ou marchand et
une perte d'indépendance pour les familles paysannes).
Mais c'est évidemment la révolution industrielle qui mettra en évidence la « résistance au
monstre mécanique ». Ladite révolution provoquera les misères les plus inouïes
et aussi les révoltes les plus vives, en général réprimées
dans le sang.
Au vingtième siècle, il y a moins d'opposition violente au
déploiement de nouvelles techniques mais des inquiétudes nouvelles,
par exemple face aux risques du nucléaire, ou des
manipulations génétiques. Contrairement à ce
que prétend souvent la propagande scientiste,
les opposants à ces techniques ne sont pas forcément des abrutis
ignorants. Souvent, ils sont eux-mêmes experts dans les techniques
dont ils dénoncent les risques. (Une critique au passage : François
Jarrige mélange, aux vrais opposants, des cinglés comme
Theodore Kaczynski dont le discours
pseudo-intellectuel se
réduisait à des longs délires. Citer cet assassin dans la longue
lignée des résistants au monstre mécanique affaiblit sérieusement le
discours.)
À toutes les étapes de cette résistance, les pouvoirs en place,
drapés derrière l'argument du progrès, ont utilisé la force et tenté
de ridiculiser les opposants en leur opposant l'inévitabilité du
progrès. C'est oublier que le progrès n'est pas une entité douée
d'autonomie : chaque déploiement d'une technique a été décidé et
exécuté par des hommes, qui ont fait le choix d'une certaine
direction, en fonction de leurs intérêts. D'autres choix auraient été
possibles même si, la plupart du temps, même cette idée de choix est
écartée d'un revers de main.