Régulièrement, se tiennent des colloques ou conférences sur le
développement des NTIC dans l'espace
francophone. Tout aussi régulièrement sont
lancés de Grands Projets pour aider au développement de ladite
francophonie, sur un Internet vu comme dominé par les anciennes
colonies de la couronne
britannique. Ces grands projets ont souvent en commun de
coûter cher, d'impliquer des entreprises privées à finalité
commerciale, et de sombrer assez rapidement dans l'oubli, souvent sans
laisser de traces. Et s'il était temps d'aider une francophonie plus
ouverte ?
L'un des échecs les plus frappants concerne un projet commun des
Éditions Hachette et de
l'AUPELF-UREF pour mettre en ligne
un "Dictionnaire Universel Francophone" qui (une fois les subventions
touchées) a disparu du réseau... En 1998, le lancement de ce
dictionnaire avait été précédé d'une importante campagne de publicité,
avec des proclamations comme : « Pour que sa diffusion soit la
plus large possible, l'AUPELF-UREF et l'éditeur ont consenti un
impressionnant effort financier afin que les moins favorisés puissent
acquérir cet ouvrage indispensable. » Hachette a retiré le lien
depuis longtemps mais on peut encore voir l'éléphant blanc sur Web
Archive. Vue la licence affichée (« Toute reproduction par
quelque moyen que ce soit sans autorisation explicite des ayants droit
est formellement interdite. »), ce travail est désormais
complètement perdu alors que plusieurs personnes avaient pris la
précaution de le sauvegarder.
L'histoire de la francophonie est pleine de ces éléphants blancs : on les annonce
par une conférence de presse à grand tapage, avec présence de deux ou
trois ministres, on trouve un "partenaire industriel" qui va être ravi
des subventions étatiques, et deux ou trois ans, après, il ne reste
plus rien. L'ex-
projet Quaero de "moteur de
recherche européen" a suivi le même chemin
(lancement sous le patronage du Président de la République en
personne, logiciel non-libre, déclarations grandiloquentes remplaçant
le travail concret, etc) jusqu'à sa triste fin.
Je propose de changer sérieusement de méthode : pour que l'argent
cesse d'être gaspillé dans des projets qui ne laissent rien de leur
passage, il faudrait que :
On puisse garantir que les résultats du projet soient
accessibles à tous, surtout au cas où le projet se termine. Cela
implique des licences libres pour le contenu et
les logiciels. Par exemple, pour des documents, des projets financés
par l'argent public devraient être disponibles sous une licence comme
la GFDL ou bien une des licences
Creative Commons. Autrement, le partenaire
privé peut bloquer éternellement le contenu qui aura été
produit.Et que le projet ne soit pas monté de zéro, ce qui rend très
incertain son avenir. Il faudrait au contraire aider au développement
de projets existants, qui ont déjà démontré sur le terrain leur
aptitude à survivre sans subventions. Trois exemples : Wikipédia, ABU (qui met en ligne des ouvrages du
domaine public) et revues.org, un système de
publication de revues en sciences humaines.
Le modèle de projet de développement de contenu francophone sur
Internet devrait donc être centré sur un projet existant : créer une
communauté, un état d'esprit, des pratiques sociales prend en effet du
temps et il serait dommage de vouloir réinventer la roue.
Pour prendre l'exemple de Wikipédia, on pourrait imaginer les projets
suivants :
Salarier des contributeurs à Wikipédia. Lorsque le projet se
termine, leurs contributions resteront accessibles à tous, sous
licence GFDL. Ces contributions peuvent être
l'écriture d'articles nouveaux, la correction d'articles existants, la
catégorisation, etc.L'organisation d'évenements Wikipédia permettant aux
contributeurs de se rassembler dans un lieu où un bon accès réseau
leur permettrait de contribuer à Wikipédia sur un thème donné. Par
exemple, pendant le festival du cinéma à
Ouagadougou, les cinéphiles férus de NTIC
pourraient être invités à une soirée Wikipédia dans un local muni
d'ordinateurs où ils ajouteraient à Wikipédia ce qu'ils savent sur le
cinéma africain (peu mentionné aujourd'hui dans Wikipédia).