Dans une société démocratique, les controverses ne manquent pas. Dans l'espace public, on discute de plein de sujets, et chacun a son opinion, qui est légitime par définition, dans une démocratie. Cette variété d'opinions sur un même sujet a souvent été remarquée, analysée et discutée. Mais il y a eu moins de temps consacré à analyser pourquoi, sur certains sujets de controverse socio-technique, la machine politico-médiatique se met en marche, en accentuant et en caricaturant à la fois le sujet et les arguments déployés, alors que pour d'autres sujets, tout aussi importants, et où les positions ne sont pas moins diverses et reposant sur des arguments variés, cette machine se met peu ou pas en marche et le sujet reste l'apanage de cercles spécifiques d'acteurs.
Pourtant, on sait bien que, parfois, ce ne sont pas les réponses
proposées (et divergentes) qui sont vraiment importantes, mais les
questions. Ainsi, avoir des controverses sur « l'immigration »
plutôt que, par exemple, sur « le chômage » n'est pas
neutre.
Ce raisonnement peut aussi s'appliquer au débat actuel sur
l'ensemble des techniques de réseau mobile connues sous le nom de
«
Pas question de considérer ce débat comme inutile ou néfaste parce qu'il a une forte composante technique. Cet aspect technique crucial nécessite certes que les participantes et participants fassent un effort d'éducation et de compréhension du problème. Mais il n'élimine pas la légitimité de tous et toutes à y participer : les techniques jouent un rôle crucial dans l'infrastructure de notre société, et ont certainement vocation à être débattues publiquement et démocratiquement. Mais on pourrait dire la même chose de plein d'autres techniques qui jouent un rôle crucial aujourd'hui. Alors, pourquoi la 5G ?
Certains pourraient dire que c'est parce que c'est une technique
révolutionnaire, qui va changer en profondeur de nombreux aspects de
notre société. Cet argument du caractère profondément disruptif de
la 5G est souvent mis en avant par ses promoteurs commerciaux et,
curieusement, souvent accepté sans critique par les détracteurs de
la 5G. La vérité est que la 5G ne va pas être une révolution. C'est
juste une technique d'accès au réseau, les applications sont les
mêmes (regarder Netflix, lire Wikipédia, y contribuer…). Ainsi, les
performances supérieures (en latence et
en capacité) ne se traduiront pas
forcément par un gain pour les usages, puisque le goulet
d'étranglement n'est pas forcément l'accès radio. Toute personne
étant passé de la
Ainsi, beaucoup d'arguments entendus contre la 5G n'ont en fait rien
de spécifique à la 5G :
Mais peut-être un changement quantitatif (performances supérieures, même si elles ne le seront pas autant que ce que raconte le marketing) va-t-il déclencher un changement qualitatif en rendant trivial et/ou facile ce qui était difficile avant ? Peut-être. De tels sauts se sont déjà produits dans l'histoire des systèmes socio-techniques. Mais souvent, également, la montagne a accouché d'une souris. Les tendances lourdes de l'Internet, bonnes ou mauvaises, n'ont pas été bouleversées par le déploiement de la fibre optique, par exemple.
Il est curieux, par contre, de constater que les vraies
nouveautés de la 5G sont en général absentes du débat. Ainsi, le
«
Bien sûr, chacun est libre de trouver que tel sujet est plus important que tel autre. De même qu'il ne peut pas y avoir d'unanimité sur les réponses, il n'y aura pas d'unanimité sur les questions. Néanmoins, il est frappant de constater que certains sujets semblent plus porteurs, sans qu'on puisse trouver une base objective à l'importance qu'ils ont dans le débat public. Tout homme (ou femme) politique en France aujourd'hui se sent obligé d'avoir un avis sur la 5G, qu'il ou elle ait étudié le sujet ou pas. On voit l'argument de la vie privée être avancé, alors que la 5G ne change pas grand'chose à cette question, par des personnes qui ne s'étaient pas signalées jusqu'à présent par une grande sensibilité à cette question, pourtant cruciale sur l'Internet.
Alors, pourquoi est-ce que le thème de la 5G est un tel succès ? Si on était d'humeur complotiste, on pourrait penser que c'est parce qu'il est bien pratique pour éviter des débats gênants sur la neutralité de l'Internet, la vie privée sur le Web, la surveillance et l'érosion des libertés. Mais on pourrait aussi mettre l'accent sur des facteurs liés au récit : « les ondes » font peur, la propagande pro-5G, par son côté ridicule et exagéré (les opposants assimilés aux Amish…), a braqué beaucoup de monde, la tentation de simplifier les problèmes complexes à une seule cause (la 5G cause le cancer, le réchauffement planétaire, et fait disparaitre la vie privée) est toujours forte. Ce sont probablement des raisons de ce genre qui expliquent le « succès » de la controverse sur la 5G. La 4G avait suscité le même genre de controverses, bien oubliées aujourd'hui, et sans doute pour les mêmes raisons.
D'autres sujets ont vu des controverses animées, mais pas
forcément aussi spectaculaires. Si la technologie de la
Encore moins de succès pour des sujets pourtant cruciaux comme la
domination de certains acteurs privés du logiciel sur des services
publics essentiels. C'est ainsi que les différents accords étatiques
avec
[Article réalisé avec la participation de Francesca Musiani].