Le 9 janvier 2020, la députée Paula
Forteza a rendu le rapport « Quantique :
le virage technologique que la France ne ratera
pas ». Quelques points sur ce rapport.
Le terme de « quantique » a un fort potentiel de
hype pour les années à
venir (surtout depuis l'annonce
par Google de l'obtention de la suprématie quantique). Dans
le contexte de la physique, il désigne
quelque chose de clair (mais
pas forcément de simple à comprendre !) Appliqué aux technologies,
c'est plus compliqué. Et ce rapport couvre toutes les utilisations
futures de la quantique, ce qui fait beaucoup. Globalement, le
rapport est rigoureux sur la partie scientifique (il y a eu de bons
conseillers, et ils ont été bien écoutés, donc des point délicats
comme la différence entre qubits physiques et
logiques, toujours oubliée par les marketeux, est bien décrite) mais
plus contestable sur la partie politique. Je ne vais pas reprendre
tous les points (lisez
le rapport, vous ne vous ennuierez pas, et vous apprendrez des
choses) mais seulement ceux qui me semblent particulièrement
discutables.
Le point le plus curieux concerne la distribution
quantique de clés (parfois appelée par abus de langage
« cryptographique quantique »). La partie technique du rapport note
à juste titre les nombreuses limitations (le rapport parle de
« verrous ») de cette technique, que ses promoteurs présentent comme
la solution magique à tous les problèmes de sécurité de l'Internet
(ce qu'elle n'est
pas). Mais la partie « propositions » du rapport oublie
complètement ces limitations et assène qu'il faut mettre le paquet
pour le développement de la QKD. On dirait
vraiment que l'analyse de la technologie et les recommandations ont
été écrites par des personnes différentes.
Le rapport est plus cohérent sur la question de la
cryptographie post-quantique (cf. aussi mon
exposé à pas Sage En
Seine et le point de
vue très différent de Renaud Lifchitz.) Encore que la partie
résumée à l'attention des décideurs, comme souvent, présente le
problème comme sans doute plus proche qu'il ne l'est (et propose de
commencer à déployer les solutions en 2022 !) Le rapport
semble pousser au déploiement immédiat d'algorithmes
post-quantiques, alors qu'aucun n'est normalisé. (Et, puisqu'il s'agit
d'un rapport officiel, on peut noter que le
RGS, et notamment son annexe cryptographique,
ne sont pas mentionnés.) Si vous voulez en savoir plus sur la
cryptographie post-quantique, je vous recommande l'exposé de Magali
Bardet lors de la
JCSA de juillet 2019.
Ensuite, ce rapport reprend malheureusement le style de tant de
rapports officiels précédents : pas d'autre proposition que de
donner beaucoup d'argent à Atos ou
Thales dans l'espoir que cela fera avancer
les choses, meccano institutionnel (créer un comité machin),
discours sur la grandeur de la France et sa maitrise de toutes les
technologies et toutes les sciences, référence à la
startup magique, croyance que la recherche
fondamentale se pilote d'en haut (on annonce bien haut que la
quantique est une priorité et paf, cela suffit à ce que les
résultats arrivent), et surtout, aucune remise en cause des
obstacles que rencontre actuellement la recherche. Par exemple, le
rapport propose d'« encourager » (ça ne coûte rien…) les chercheurs
à candidater à des programmes de financement européens mais sans se
demander pourquoi il n'y a pas davantage de telles
candidatures. (C'est en partie parce que les chercheurs passent déjà
plus de temps dans la paperasserie et dans la chasse aux subventions
que dans la recherche. Mais on ne pouvait pas attendre d'une députée
du parti du gouvernement qu'elle critique l'organisation actuelle de
la recherche.)
Le rapport propose de fournir un calculateur quantique accessible
en ligne (pardon, le rapport dit « cloud », c'est
plus poétique) pour faire du QCaaS (Quantum Computing as a
Service). C'est déjà proposé par IBM et AliBaba. Cela ne veut pas
dire qu'il soit inutile d'en créer d'autres, meilleurs et/ou
différents mais cela ne montre pas une énorme ambition.
D'autre part, certaines propositions auraient mérité d'être
développées, notamment sur les moyens à mettre en œuvre. Ainsi, la
proposition de créer des enseignements d'algorithmique quantique dans
vingt cycles d'enseignement supérieur est une très bonne idée mais
pas un mot n'est dit sur le recrutement d'enseignants, alors que
justement les compétences en ce domaine ne sont pas largement
répandues.
Le rapport, je l'ai dit, est globalement rigoureux, mais dérape
quand même parfois par exemple quand, à propos de programmation, il
pointe l'importance de développer des langages de programmation
adaptés, de haut niveau (ce qui est une très bonne idée) mais cite
ensuite comme exemple Q#, qui est justement
un langage de très bas niveau, où on manipule les portes
logiques directement. Vous imaginez programmer un
ordinateur classique ainsi ? Seule la syntaxe de Q# est « de haut
niveau », les concepts manipulés ne le sont pas. Au passage, si vous
êtes prorgrammeur ou programmeuse, le site de questions/réponses
StackExchange a une déclinaison
sur le calcul quantique.
Un point que j'ai apprécié, par contre, est l'insistance sur les
« technologies habilitantes ». Il s'agit de toutes les techniques
qui permettent de réaliser des dispositifs quantiques, notamment la
cryogénie. C'est à juste titre que le rapport
rappelle qu'un ordinateur quantique n'est pas seulement composé de
qubits, c'est d'abord un gros
réfrigérateur.
Sur la forme, je note l'abus de termes en
anglais, qui n'aide pas à la
compréhension.
Notez que l'IETF a un travail en cours sur la
cryptographie post-quantique et un groupe de
recherche sur les réseaux quantiques, qui a produit plusieurs
documents intéressants (je vous recommande draft-irtf-qirg-principles,
qui explique bien la quantique, avant d'expliquer ce que pourrait
être un réseau quantique. Le RIPE-NCC a déjà
organisé un hackathon
sur ce sujet.)