Un interview récent de John Doyle, «
When the Internet breaks, who ya gonna call? », montre que le
mème « l'Internet est
vraiment trop nul, il faut le refaire complètement en partant de
zéro » se porte toujours aussi bien (voir aussi mes articles sur John Day et sur Sciences & Vie). (Un
exemple d'article Web en français sur le même sujet, sensationnaliste,
bourré d'erreurs et souvent ridicule est « Histoire
d'Internet : l'espoir - épisode 3 ».) Pourtant, aucun progrès n'a été
effectué en ce sens et cela ne changera probablement pas tant que les
« reparteurs à zéro » ne traiteront pas leurs trois faiblesses.
D'abord, il y a une faiblesse de positionnement. Dans le monde
réel, on n'a pas souvent le luxe de repartir de zéro. D'énormes
investissements ont été faits, des millions de gens ont été formés,
personne ne va jeter tout cela uniquement parce que Doyle dit dans un
interview qu'il faut arrêter de mettre des rustines et qu'il faut
repartir de zéro. Faire un réseau informatique meilleur, en partant de
zéro, est de la recherche fondamentale, avec peu de perspectives de déploiement. C'est une activité noble et utile
mais qui, dans un pays où lire la Princesse de
Clèves est considéré inutile, ne rapporte rien. Alors, les
promoteurs du redépart à zéro prétendent que leur activité pourrait
avoir des applications concrètes, ce qui est franchement
malhonnête.
Ensuite, ce n'est pas tout de critiquer, il faut proposer. Les
reparteurs à zéro sont intarissables sur les défauts de l'Internet et
complètement muets sur leur futur réseau « bien meilleur ». Ils ne
citent de ce futur réseau que des vagues promesses (« sécurisé »,
« rapide », « fiable »), jamais de principes architecturaux concrets,
encore moins de descriptions techniques, de prototypes, etc. Ils font
penser à un apprenti médecin qui, notant avec gourmandise et un grand
luxe de détails les
nombreuses et sérieuses limites de la médecine
moderne, proposerait de refaire la médecine en partant de zéro, sans
expliquer le moins du monde pourquoi il fera mieux.
Mais la troisième faiblesse est la plus sérieuse : le
cahier des charges. Quels sont les principes
qu'ils veulent mettre en œuvre ? Actuellement, l'Internet permet
à n'importe quelle entreprise ou association de fournir des services,
que ce soit de connectivité ou de contenu. La plupart des reparteurs
de zéro sont des nostalgiques de la téléphonie ou de la télévision d'autrefois, où ces possibilités
étaient réservées à un petit cartel. Dans un tel contexte, résoudre
certains problèmes, par exemple de sécurité, est relativement
facile. Mais cela supprimerait complètement l'intérêt de
l'Internet. Dans le fond, ce qu'ils reprochent à ce réseau, n'est-ce pas
simplement qu'il est trop ouvert et trop libre pour eux ?