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Fiche de lecture : Les ghettos du gotha

Auteur(s) du livre : Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot
Éditeur : Seuil
978 2 02 088920 9
Publié en 2008
Première rédaction de cet article le 8 mars 2008


Depuis plusieurs ouvrages (dont le plus connu est « Dans les beaux quartiers »), Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot étudient, en sociologues, la grande bourgeoisie. Des tas d'études sociologiques ont été faites sur les banlieues difficiles, sur les ouvriers, sur les chômeurs mais très peu sur la grande bourgeoisie, peut-être par acceptation aveugle du tabou comme quoi les classes sociales n'existeraient pas. Ce dernier ouvrage (car les auteurs prennent leur retraite) discute de l'occupation de l'espace et de sa défense.

Leurs sujets d'étude ne sont pas forcément faciles. Certes, les risques physiques sont plus faibles que lorsqu'on va étudier les délinquants de banlieue. Et on mange mieux lorsqu'on enquête au Jockey Club. Mais cela ne rend pas forcément l'enquête plus facile, face à des interlocuteurs qui, eux aussi, ont lu Bourdieu, et sont rompus à l'art difficile de se montrer sous son meilleur jour, tout le temps.

Dans ce livre, les deux auteurs s'attaquent plus particulièrement à la gestion de l'espace par la grande bourgeoisie. Si on reproche aux immigrés de vivre dans des ghettos, que dire de cette classe dont l'étude du Bottin mondain montre que ses membres ne vivent que dans trois arrondissements de Paris (7, 8 et 16), sans compter évidemment le vingt-et-unième ? À les fois très cosmopolites (le monde est leur terrain de jeu depuis toujours) et très attachés à leurs territoires, les sujets de l'étude mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour rester entre eux et ne pas permettre de mélanges avec d'autres classes sociales. Leur dévouement militant, lorsque ce territoire est menacé, n'a rien à envier à la rage du caïd de banlieue s'opposant au passage dans « sa » cité d'autres exclus venus d'une cité différente...

Le seul jeu du marché, et les prix de l'immobilier qu'il entraine, sont déjà un bon moyen de limiter la mixité sociale. Encore faut-il veiller à ce que les politiques publiques ne contrarient pas trop ce marché. C'est alors que rentre en jeu le travail d'influence, rarement public, pour s'assurer qu'aucune loi n'aura de conséquences trop graves. C'est ainsi que la loi SRU a certes été votée (elle impose notamment un minimum de 20 % de logements sociaux par commune) mais est systématiquement violée, les sanctions étant bien trop faibles (Neuilly n'a ainsi que 2,6 % de logements sociaux).

Cette occupation de l'espace est particulièrement nette dans le cas du Bois de Boulogne, qui fait l'objet d'un article étonnant du livre. Une partie de cet espace public est en effet réservée depuis des dizaines d'années à un petit nombre de clubs ultra-fermés, où on n'entre que par cooptation, comme le Cercle du Bois de Boulogne ou le Polo de Paris.

Comment se pratique cette défense du territoire ? Pas de manifestations dans la rue, pas de voitures brûlées, même pas de complot international où de mystérieux financiers apatrides tireraient les ficelles. Non, c'est beaucoup plus simple, montrent nos deux sociologues. Ce monde est irrigué par un intense réseau de sociabilité. On dine ensemble à l'Interallié ou lors d'une réception chez l'un ou l'autre, on prend des vacances dans les mêmes palaces, à Gstaad ou à Marrakech et les problèmes sont réglés entre gens du même monde, discrètement. Il y a certes de nombreux conflits internes (l'associations de grands bourgeois qui s'oppose à une autoroute urbaine peut compter dans ses membres des actionnaires de Renault ou de Vinci...) mais la plupart se règlent « entre soi ».

Bref, un livre qui donne envie d'être riche, pour pouvoir profiter d'une telle entraide, et de territoires protégés, défendus avec une bonne conscience en béton : les quartiers où ils vivent étant souvent historiquement importants, ils ne défendent pas leurs intérêts, non, ils protègent le patrimoine national...

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