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IPv6 ou l'échec du marché

Première rédaction de cet article le 30 octobre 2007


Pourquoi est-ce que le protocole IPv6 n'a pas encore décollé, malgré les recommandations de tous les experts ? Pour une simple raison économique. Déployer IPv6 coûte à celui qui le déploie, ne pas le déployer coûte équitablement à tout le monde. Dans un régime capitaliste, le choix est vite fait.

Cette fois, comme le note Geoff Huston dans son exposé à RIPE-55, tout le monde est passé en mode « Panique ». Les déclarations se multiplient, appelant à migrer vers IPv6 en vitesse (même l'ultra-mollassone ICANN s'y met), les acteurs prennent soudain conscience que le temps qui reste aux adresses IPv4 est inférieur à la durée de vie d'un routeur ou d'un serveur. Mais pourquoi a t-on tant attendu alors que tout le monde savait bien que les adresses IPv4 sont une ressource virtuelle non renouvelable, et que la pénurie se faisait sentir depuis de nombreuses années ?

Parce qu'Internet n'est pas géré collectivement. Chaque réseau qui forme Internet fonctionne de manière complètement autonome, sans réelle coordination avec les autres, et sans qu'une entité commune ne les synchronise, à part le marché.

Et c'est là que le bât blesse. IPv6 étant incompatible avec IPv4, personne n'a intérêt à migrer le premier. Il se retrouverait tout seul dans un bel Internet IPv6 bien vide, sans pouvoir télécharger de films pornos ou regarder ToiTuyau ou MouvementQuotidien. Résultat, les seules migrations sont celles de sites « double pile » (v4 et v6), ce qui ne réduit pas la pénurie d'adresses IPv4, et fait deux fois plus de travail pour les responsables de ces sites.

Pourtant, ce n'est pas une simple question d'argent. La non-migration vers IPv6 coûte très cher, notamment en temps passé à faire fonctionner les applications malgré le NAT, en complexité dûe à l'existence de deux domaines d'adressage, le privé et le public, en temps passé à remplir des papiers pour la bureaucratie des RIR, qui limite ainsi la consommation d'adresses IPv4, en lignes de code dans les applications SIP ou pair-à-pair pour arriver à contourner l'absence d'adresses globalement uniques. Le coût global de ces mesures est sans doute bien supérieur à celui d'une migration vers IPv6. Mais ce coût est entièrement partagé par tous les acteurs. Alors que le coût de migration n'est porté que par celui qui est assez courageux pour migrer. (Lixia Zhang dans l'IETF journal d'octobre 2007 remarque aussi que les gains du NAT se voient immédiatement alors que ses coûts sont dissimulés et n'apparaissent qu'à long terme, ce qui tend à favoriser ce système).

Le résultat est donc logique, même sans connaître les modèles de théorie des jeux comme le dilemme du prisonnier. Comme pour la pollution ou le réchauffement planétaire, lorsque les conséquences de l'inaction sont publiques et les bénéfices de celle-ci sont privés, il n'y a pas de motivation pour limiter le gaspillage.

On est donc dans un cas parfait de ce que les économistes nomment l'« échec du marché ». Dans l'incapacité de réaliser un déploiement coordonné d'IPv6 qui profiterait à tous, chaque acteur a des actions individuelles qui sont raisonnables pour lui, mais coûtent cher à tous.

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