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Mon livre « Cyberstructure »

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Fiche de lecture : Manual for survival

Auteur(s) du livre : Kate Brown
Éditeur : Penguin Books
978-0-141-98854-2
Publié en 2019
Première rédaction de cet article le 23 juillet 2022


Ce livre est une analyse des conséquences à long terme de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Que se passe-t-il dans une région profondément irradiée ? L'auteure explore en détail le traitement de la catastrophe dans les années qui ont suivi l'explosion du réacteur, en ne se fiant pas uniquement aux déclarations officielles. Un ouvrage évidemment plutôt douloureux à lire, mais qui ne laisse aucun détail de côté.

Tout le monde connait la catastrophe qui a vu l'explosion d'un réacteur nucléaire à Tchernobyl le 26 avril 1986. On ne mentionne souvent que ses conséquences à court terme (la mort des « liquidateurs », qui sert à des affirmations trompeuses comme « la catastrophe n'a fait que 31 [le chiffre varie] morts ») mais le livre de Brown se concentre sur des conséquences à plus long terme, moins spectaculaires. Et il n'est pas facile de mesurer ces conséquences à long terme. Prenons l'exemple du cancer de la thyroïde. On en observe chez des enfants dans la région. Mais il y a aussi des cancers de ce type en l'absence de contamination radioactive. Sont-ils plus fréquents après l'accident de la centrale ? La statistique est une science difficile. (Comme on l'a vu récemment avec la pandémie de Covid-19, qui a vu le retour de déclarations anti-statistiques du genre « mon beau-frère n'est pas vacciné, et bien il n'est pas tombé malade ».)

Et il est d'autant plus difficile de répondre à la question que l'accident s'est produit dans un pays où le système de santé était loin d'être parfait, avec une collecte peu fiable des données (et le cancer de la thyroïde est apparemment délicat à diagnostiquer). En outre, il y avait sur place une radioactivité artificielle qui n'était pas due à cet accident, mais qui provenait des essais nucléaires atmosphériques et d'autres accidents (l'URSS traitait la sécurité nucléaire avec beaucoup de légèreté). Bref, le traitement de ces données n'est pas évident. Toutefois, il est clair que la radioactivité sur place est plus importante que ce qui avait parfois été raconté par les autorités, et que les maladies sont bien en augmentation.

Une autre difficulté statistique que décrit bien l'auteure est que la radioactivité est très variable d'un endroit à l'autre, et ne s'en tient pas aux traits tracés sur la carte (« ici, évacuation nécessaire, ici, ça peut aller »). Un jardin portager peut être contaminé et celui d'à côté rester peu touché. Un exemple particulièrement frappant est donné par l'auteure où des cueilleuses vont récolter des myrtilles dans une forêt et où chaque panier est mesuré pour déterminer sa contamination radioactive. Bien que récoltés dans la même forêt, ils sont très différents. Et, pour rester en deçà des normes de radioactivité acceptable, l'organisateur décide de mélanger les myrtilles des paniers relativement sains avec celle des paniers contaminés, diluant ainsi la radioactivité jusqu'à ce qu'elle reste en dessous du seuil…

Le livre décrit également longuement les réactions des autorités dans les années ayant suivi la catastrophe. Tchernobyl est en Ukraine mais proche de la Biélorussie. Dès l'accident, avant même la fin de l'URSS, les autorités ukrainiennes et biélorusses avaient traité le problème très différemment, la Biélorussie choisissant de largement nier le problème, y compris en confisquant les compteurs Geiger (pas de mesures, pas de problème…). La controverse n'est évidemment pas purement scientifique et Brown décrit longuement toutes les manœuvres des autorités pour cacher, ou relativiser, les faits gênants. Et Moscou s'en mêlait également, mais pas de façon uniforme : dans ces années de perestroïka, l'État soviétique partait déjà à vau-l'eau et tout le monde n'avait pas, et de loin, les mêmes idées sur comment faire face au problème. (À un moment, ce sont des médecins du KGB qui mettent en évidence les mensonges rassurants des autorités : vu les privilèges du KGB, ils avaient une meilleure clinique et du meilleur matériel, et savaient donc bien ce qu'il en était.)

Ah, et en parlant de géopolitique, l'auteure met aussi en évidence une curieuse complicité entre l'URSS et les USA. Malgré le fait que la guerre froide n'était pas finie, pas mal d'intervenants étatsuniens sur place soutenaient le discours officiel soviétique comme quoi les conséquences de l'accident n'étaient pas si graves que ça. Ce n'était pas forcément par confiance aveugle dans leurs collègues soviétiques, mais aussi peut-être par crainte que l'image de marque des filières nucléaires (civiles et militaires) ne souffrent trop de l'accident.

Bref, un livre à lire, pour celui ou celle qui veut approfondir les controverses politico-scientifiques, et apprécier la complexité des faits.

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