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Mon livre « Cyberstructure »

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Fiche de lecture : Les nouvelles lois de l'amour

Auteur(s) du livre : Marie Bergström
Éditeur : La Découverte
978-2-7071-9894-5
Publié en 2019
Première rédaction de cet article le 8 juin 2020


« Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique. » Une part très importante des activités humaines se passe désormais sur l'Internet. C'est donc logiquement également le cas de la drague et de toutes ses variantes. Mais comment se passent exactement les rencontres sur l'Internet, au-delà des discours faciles ? Une sociologue s'est penchée sur la question, a parlé avec utilisateurs et concepteurs de sites de rencontre, a eu accès à la base de données d'un gros site, pour des études quantitatives, et publie. Un livre qui parle d'amour, sous toutes ses formes.

C'est qu'il y a beaucoup d'idées fausses qui circulent sur les rencontres sexuelles et/ou amoureuses effectuées par le truchement d'un site Web. Il n'y aurait plus de couple stable, plus que des rencontres éphémères, celles-ci seraient égalitaires, sans considération de classe sociale, le passage par une entreprise commerciale tuerait tout romantisme, etc.

J'ai découvert ce livre lors des excellentes rencontres « Aux sources du numérique ». Vos pouvez lire l'entretien avec l'auteure fait à cette occasion. asdn-marie-bergstrom.jpg

L'auteure remet les sites de rencontre modernes dans l'histoire (et c'est un des chapitres les plus intéressants du livre). L'action d'intermédiaires dans la formation des couples est ancienne, et leurs arguments sont parfois très stables (cf. la délicieuse mise côte-à-côte d'une publicité du journal d'annonces matrimoniales « Les mariages honnêtes » en 1907 et d'une publicité de Tinder de 2017). On trouvera entre autre dans ce chapitre historique le Minitel rose, qui avait été un des facteurs de décollage de ce succès technico-industriel français, et la source de quelques fortunes, y compris de celle du fondateur d'un gros FAI français. (Et, j'ajoute, la source d'inspiration d'une jolie chanson sur le numérique, Goodbye, Marylou.) Mal vus à l'époque, les « sites de rencontre » sont mieux perçus aujourd'hui. Comme le note l'auteure, un des intérêts des sites de rencontre, est qu'on ne drague pas en public, contrairement aux rencontres sur le lieu de travail ou en boite. C'est particulièrement important pour les femmes, qui sont critiquées si elles expérimentent beaucoup. Les femmes de 18-25 ans sont le groupe qui utilisent le plus ces sites.

Autre étude intéressante, les discussions avec les concepteurs des sites de rencontre. Alors que les agences matrimoniales du passé se vantaient de leurs compétences en matière de rencontres, ceux qui réalisent Meetic et les autres clament bien fort qu'ils sont juste des techniciens, qu'ils mettent les gens en rapport, qu'ils n'essaient pas d'être des « marieurs ». Les créateurs des sites de rencontre nient l'influence du site, de son organisation, de ses algorithmes. On ne sait pas si cette insistance sur la neutralité est une coquetterie d'informaticien (« la technique est neutre ») ou bien un moyen d'éviter de faire des promesses imprudentes (« satisfaction garantie »).

Et l'homogamie ? Est-ce que l'Internet tient sa promesse d'être égalitaire, et d'effacer les barrières ? Est-ce que, grâce aux applications de rencontre, les bergères peuvent enfin épouser des princes ? Malheureusement, non. Bourdieu reste le plus fort. Comme dans les rencontres hors-ligne, l'homogamie reste forte. Si la sélection sur le physique ne doit pas trop se dire, celle sur l'orthographe est assumée par les interlocuteurs de l'auteure, et on sait que l'orthographe est un fort marqueur social. (L'auteure, qui est d'origine suédoise, critique la langue française pour son manque de cohérence entre l'oral et l'écrit. Mais toute langue est difficile quand ce n'est pas sa langue maternelle.) Plus étonnant, cette importance donnée à l'orthographe reste très forte même quand on cherche des rencontres « légères », « sans lendemain ». Il n'y a pas de simple « plan cul ». « Nos goûts sexuels et romantiques sont sociaux. », dit l'auteure. Même si c'est juste pour le sexe, il faut une bonne orthographe. Ce choix contribue d'autant plus à la sélection sociale que le seul canal, au début, est l'écrit : on ne peut pas compenser par son apparence physique.

Autre idée importante du livre : le cliché traditionnel comme quoi les hommes chercheraient du sexe et les femmes un mari n'est pas corroboré par les données. Il y a bien des attentes différentes des hommes et femmes vers 30 ans, où les femmes veulent déjà se mettre en couple, mais les hommes pas encore. Mais, avant et après les visions classiques sont fausses (les femmes jeunes aussi veulent du sexe, les hommes mûrs aussi de la conjugalité).

Et à propos de sexe, est-ce que, sur les sites de rencontre, on ne s'intéresse qu'à la relation sexuelle et pas à la mise en couple stable ? Pas vraiment. Tout juste peut-on observer que les rencontres en ligne deviennent plus vite sexuelles (un peu comme celles en vacances, et sans doute pour les mêmes raisons, « les histoires en ligne ne font pas d'histoires »). Et puis, les deux parties savent dès le début pourquoi ielles sont là : il n'y a pas l'ambiguité qu'il peut y avoir, par exemple lors de rencontres au bureau.

Notez que le livre se limite à l'hétérosexualité, l'auteure notant que les homosexuels ont des pratiques très différentes. Un prochain livre ?

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