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Mon livre « Cyberstructure »

Ève

Fiche de lecture : Paris démasqué

Auteur(s) du livre : Quentin Gérard, Louis Moulin
Éditeur : Arkhê
978-29-18682-592
Publié en 2019
Première rédaction de cet article le 28 novembre 2020


Le citadin arrogant peut imaginer que les légendes, les monstres, les histoires irrationnelles ne naissent qu'à la campagne, chez des ruraux mal dégrossis, les seuls à croire à ces récits fantastiques. Mais les villes ont aussi leurs contes fabuleux, leurs angoisses et leurs mythes. Les auteurs s'attaquent ici à quelques histoires étonnantes qui prennent place à Paris, et en profitent pour analyser l'inconscient des concentrations urbaines.

Ce livre cite vingt mythes très différents. Mythes car, quoi qu'un bon nombre parte d'évènements et de personnages réels, ce qui intéresse les auteurs, c'est ce qu'en a fait la psychologie collective. Prenons quelques exemples.

Il y a des histoires inspirées par les crimes et la répression de ces crimes, répression souvent aussi horrible que le crime lui-même. Un chapitre du livre rappelle ainsi l'histoire du gibet de Montfaucon, à l'époque où on assassinait légalement (« nous fûmes occis par justice », dit François Villon) aux quatre coins de Paris, là où on ne trouve aujourd'hui que des gentilles boulangeries bio. Montfaucon était conçu pour être visible et pour faire peur et le gibet, scène d'horreur, a en effet marqué les imaginations pour de nombreux siècles.

Un autre chapitre est consacré aux grands drames collectifs qui ont frappé la ville. Il y a par exemple l'angoisse des rats (vous connaissiez le terme de musophobie, qui n'est même pas dans le Wiktionnaire ?) Cette angoisse se base sur des faits réels (le rôle des rats dans des maladies comme la peste) mais a souvent dérivé vers l'irrationnel, voire le racisme. Les auteurs citent le « les rats sont coupables, les rastas ne sont pas innocents » [dans la presse de l'époque, « rasta » est un étranger oriental], du journaliste d'extrême-droite José Germain, qui rappelle que les temps d'épidémie sont propices aux délires et aux mensonges.

Il y a bien sûr aussi un chapitre sur les récits politiques. La sainte patronne de Paris, sainte Geneviève, est un personnage historique réel. Mais elle a fait l'objet d'un gros travail de mythification. C'était une aristocrate, dirigeante politique habile dans des temps très troublés, mais on en a fait une humble bergère, avant de la considérer comme un symbole de la monarchie et de l'Église pendant la Révolution, où ses restes ont été détruits. Puis de nos jours on met davantage en avant son intelligence politique, plutôt que sa piété. Chaque époque met Geneviève à sa sauce.

En parlant de politique, le chapitre sur les « spectres et maléfices » évoque entre autres les pétroleuses. Là encore, il s'agit d'un phénomène historique réel (la participation des femmes à la Commune, pas les incendiaires se promenant avec leur bidon de pétrole) mais qui a été transformé par la presse versaillaise : les pétroleuses n'étaient pas simplement dépeintes comme des adversaires politiques mais comme des monstres inhumains. (Et c'est l'occasion de rappeler que, en deux mille et quelques années d'une histoire souvent troublée, le plus grand massacre qui ait jamais eu lieu à Paris a été commis par l'armée française.)

Paris n'est pas isolée, il y a la banlieue tout autour. Ah, la banlieue, comme objet de fantasmes et de peurs… Cela ne date pas d'aujourd'hui : la forêt de Bondy a ainsi droit à une place, car pendant longtemps, c'était le coupe-gorge qui faisait peur à tous les Parisiens. Dans les mythes, le danger est toujours à l'extérieur…

Je ne vais pas résumer toutes les histoires que contient ce livre. Juste terminer en disant que j'ai été très ému, par le rappel dans le chapitre sur les épreuves collectives subies par la ville, des attentats djihadistes de janvier et novembre 2015. Le récit se termine par un message d'espoir : Paris n'a pas cédé.

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