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Tempête solaire sur l'Internet ?

Première rédaction de cet article le 15 octobre 2021


L'Internet est vulnérable aux attaques, aux pannes du matériel, aux bogues des logiciels. Mais il peut aussi être vulnérable aux actions du Soleil, comme le montre l'étude « Solar superstorm: planning for an Internet apocalypse » qui, en dépit d'un titre putaclic, est une analyse sérieuse et détaillée des risques que courra l'Internet avec l'actuelle croissance de la violence du Soleil.

Le Soleil nous éclaire et nous donne parfois des coups de soleil. Mais il a aussi un autre effet, celui provoqué par les tempêtes solaires, notamment les éjections de masse coronale. Pendant ces tempêtes, le Soleil éjecte une grande quantité de particules dont l'arrivée sur Terre provoque divers phénomènes électromagnétiques, notamment la génération de courants induits dans les conducteurs. Les câbles qui relient les équipements des réseaux informatiques, comme l'Internet, peuvent donc être perturbés, voire endommagés. La plus connue de ces tempêtes est l'événement de Carrington, qui est survenu à une époque où l'électricité était une nouveauté peu employée et où le réseau principal était le télégraphe. Les éjections de masse coronale sont très directionnelles et, si elles ne se produisent pas en direction de la Terre, les conséquences sont minimes (comme par exemple pour l'éruption de juillet 2012).

L'activité solaire, et ces tempêtes, suivent des cycles. Le plus connu est le cycle de 11 ans, et nous en sommes actuellement au cycle n° 25. Mais il y a d'autres cycles, de période plus longue, comme le cycle de Gleissberg. Le hasard a fait que l'expansion de l'Internet a coïncidé avec un minimum de la plupart de ces cycles, donc une activité solaire relativement faible. Mais les choses changent, l'activité solaire augmente, et une tempête de grande intensité, perturbant sérieusement l'Internet (et d'autres constructions techniques) est une possibilité réelle dans les prochaines années. Une tempête de la taille de celle de Carrington aurait des conséquences autrement plus importante aujourd'hui.

(Notez que, si les fibres optiques ne sont pas conductrices, le câble d'alimentation des répéteurs qui les longe l'est, et qu'une fibre optique peut donc être mise hors de service par une tempête solaire.)

L'article « Solar superstorm: planning for an Internet apocalypse » cherche à quantifier le risque et à étudier comment le limiter. Un de ses angles d'attaque est de regarder la distribution géographique des équipements réseau. En effet, les conséquences de la tempête solaire sont plus intenses aux latitudes élevées, donc près des pôles. D'autre part, plus un conducteur est long, plus le courant induit est important. Les câbles sous-marins transocéaniques sont donc les plus vulnérables. L'auteur s'est donc plongé dans les données et a regardé où il y avait le plus de risques. (Il a stocké une copie des données en ligne, sauf celles pour lesquelles il n'avait pas l'autorisation, comme les données de l'UIT.) Par exemple, CAIDA publie des informations très utiles sur les routeurs.

Je vous résume quelques conclusions :

  • Les câbles sous-marins transatlantiques sont très concentrés en un petit nombre de points sur la côte Est des États-Unis (les transpacifiques sont mieux répartis), et trop au Nord, ce qui augmente les risques. En cas de tempête solaire intense, tous ces câbles seraient mis hors d'usage, seuls ceux partant de Floride, à une latitude plus basse, seraient épargnés (et ils ne vont pas en Europe, donc la connectivité entre l'Europe et les États-Unis serait probablement interrompue).
  • Rappelez-vous que la tempête a surtout des effets aux latitudes élevées ; l'auteur calcule que l'Alaska perdait toute sa connectivité sous-marine, mais Hawaï serait relativement épargné.
  • Fait amusant, dans l'hypothèse d'une tempête intense, le Royaume-Uni perdait sa connectivité avec l'Amérique du Nord mais pas avec l'Europe ; un Brexit à l'envers.
  • Les câbles terrestres, plus courts, seront nettement moins touchés.
  • Et les centres de données ? La tendance étant de les mettre de plus en plus au Nord, pour faciliter leur refroidissement, notamment dans le contexte du réchauffement planétaire, ils pourraient également être affectés.
  • Et les serveurs DNS de la racine ? L'auteur y a pensé aussi et considère que, vu leur répartition très variée à la surface du globe, ils ne seront probablement pas tous affectés à la fois.

Dans l'état actuel de la science, on ne sait pas prédire les tempêtes solaires, uniquement déterminer des probabilités. On ne peut donc pas se préparer longtemps à l'avance. Toutefois, en cas de tempête solaire, comme la masse coronale éjectée voyage plus lentement que la lumière, on voit la tempête plusieurs heures, voire plusieurs jours, avant d'en ressentir les effets. Il existe des services d'alarme utilisés, par exemple, par l'aviation. C'est le cas du service de SpaceWeatherLive, ou du Presto du SIDC. Un avertissement typique (daté du 11 octobre 2021) dit « A halo coronal mass ejection has been observed in the available SOHO/LASCO coronagraph imagery at 07:24 on Oct 9. This halo coronal mass ejection is associate with the M1.6-class flare peaking at 06:38 UTC on the same day in the Catania sunspots group 58 (NOAA AR-2882), which was located on the central meridian. The projected speed was measured 692 km/s by the software package CACTus. The true speed has been estimated around 950 km/s. The transit time to Earth is estimated to take about 62 hours, ant the arrival to Earth time would be on Oct 12, around 01:00 UTC. ». Dans ce cas, la masse éjectée (CME = Coronal Mass Ejection) arrivera bien sur Terre mais on a un peu d'avance pour se préparer. Notez que ce service Presto est également accessible via Gemini : presto-gemini.png

Que faire quand on reçoit l'avertissement ? Couper le courant peut aider mais ne suffit pas, le danger venant des courants induits par la réception sur Terre de la masse coronale éjectée. L'auteur recommande de travailler la diversité, avec davantage de câbles, et mieux répartis. La redondance (et l'absence de SPOF) reste la meilleure défense.

L'auteur se penche aussi sur la remise en fonctionnement après la panne et c'est sans doute la plus mauvaise partie de l'article, avec des « solutions » très stratosphériques comme SCION ou Loon.

Ah et, bien sûr, l'article rappelle que le plus gros problème sera peut-être le manque d'électricité, car le réseau électrique va déguster lui aussi (et son bon fonctionnement dépend peut-être en partie de l'Internet).

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