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Fiche de lecture : What is Lojban?

Auteur(s) du livre : Nick Nicholas, John Cowan
Éditeur : Logical Language Group
0-9550283-1-7
Publié en 2003
Première rédaction de cet article le 1 septembre 2010


Il existe d'innombrables langues construites, des langues qui ne sont pas issues d'une évolution « naturelle » mais qui ont été soigneusement élaborées par des humains. La plus connue est évidemment l'espéranto mais le lojban, présenté dans ce livre, a un cahier des charges assez différent. Son but principal n'est pas la paix dans le monde via la compréhension mutuelle, c'est la logique : faire une langue permettant de s'exprimer sans ambiguité, et qui soit complètement analysable par un analyseur syntaxique normal.

Le livre « What is lojban? » (ou, en lojban, « la lojban. mo ») est un recueil de différents textes en anglais produits par l'organisation qui supervise la langue, le Logical Language Group. Pour ceux qui ne veulent ou ne peuvent acheter l'édition papier, il est aussi disponible en ligne. (Il y a aussi une version en français, malheureusement uniquement dans un format fermé, en lojban.doc.) Parmi les éditeurs de ce recueil, j'ai noté la présence de John Cowan, qui a été un des piliers du groupe de travail LTRU de l'IETF et j'ai pu apprécier, dans ce groupe, ses vastes connaissances, son excellent style et sa patience.

Que contient le livre ? La FAQ du site officiel, des exemples de courts textes en lojban, un guide de prononciation pour les locuteurs de diverses langues (mais pas le français) et surtout le texte « Overview of Lojban Grammar » qui décrit la structure de la langue. Ce n'est pas un tutoriel, pas question d'apprendre le lojban ainsi, mais c'est une description technique de la grammaire de la langue. À noter que, les composants d'un texte en lojban n'ayant pas forcément d'équivalent dans d'autres langues (des notions comme la distinction entre nom et verbe n'existent pas), ces composants sont désignés par leur nom en lojban. Il est donc prudent, en lisant le texte, d'avoir une fiche rappelant ce qu'est un brivla (le terme utilisé pour désigner un prédicat puisque le lojban est fondé sur la logique des prédicats), un sumti (l'argument d'un prédicat) ou un cmavo (catégorie qui regroupe les prépositions et ce pour quoi, dans d'autres langues, on utiliserait la ponctuation). Je ne vais pas résumer toute la grammaire lojban ici, juste décrire quelques points intéressants qui peuvent donner envie de voir le lojban de plus près.

Je commence par une phrase triviale en lojban, « mi klama le xunre zdani » (quelque chose comme « je vais à la maison rouge » ; si vous voulez voir un texte plus long, regardez la page d'accueil du site officiel). Comme le lojban est décrit par une grammaire formelle, en LALR(1), on peut écrire relativement facilement un analyseur syntaxique, comme par exemple le programme jbofihe. Cela donne :

% cat ~/tmp/hello.txt
mi klama le xunre zdani

% jbofihe -t ~/tmp/hello.txt  
| +-CMAVO : mi [KOhA3]
| | +-BRIVLA : klama
| | | +-CMAVO : le [LE]
| | | | +-BRIVLA : xenru
| | | | +-BRIVLA : zdani
| | | +-SELBRI_3
| | +-SUMTI_6
| +-BRIDI_TAIL_3
+-NO_CU_SENTENCE
CHUNKS

où le brivla le plus externe, klama joue le rôle du prédicat principal. jbofihe permet aussi de représenter l'arbre syntaxique sous d'autres formes par exemple en (mauvais) HTML avec l'option -H (notez qu'il a inclus une traduction des mots) :

[1(2[klama1 (go-er(s)) :] mi I, me)2 [is, does] <<3klama go-ing>>3 (4[klama2 (destination(s)) :] le the (5xunre red [type-of] zdani home(s))5)4]1

La même chose est possible en LaTeX avec l'option -l. Cette possibilité d'analyser syntaxiquement la langue permet le développement d'outils de traitement linguistique. jbofihe peut aussi vérifier que la syntaxe d'un texte est correcte. On peut même l'utiliser depuis Emacs avec un code d'initialisation comme :

(defun lojban-parse () ""
  (interactive "")      
  (shell-command-on-region (region-beginning) (region-end) "jbofihe"))

(global-set-key "\C-x-" 'lojban-parse)

(Il existe naturellement un mode Emacs pour le lojban.)

Après ce petit détour technique (désolé, problème classique des gens qui apprennent le lojban, comme l'a montré un dessin de xkcd), quelques éléments intéressants sur la langue :

  • Chaque prédicat a un nombre d'arguments fixe et connu. Par exemple, tavla, « parler », a quatre arguments, le locuteur, le destinataire, le sujet et la langue utilisée. Si on utilise les quatre arguments, pas de problème. Si on ne spécifie que les N premiers, pas de problème, les autres sont optionnels. Mais si on ne spécifie, mettons, que le quatrième et qu'on veut dire « je parle en lojban » ? Deux solutions, un terme qui représente l'inconnu, zo'e ou bien des termes qui modifient l'ordre des arguments. Donc, la première solution serait mi tavla zo'e zo'e la lojban et la seconde mi tavla fo la lojbanfo indique que l'argument est normalement le quatrième (attention en comptant, le premier argument, ici mi, se met avant le prédicat).
  • Les questions se font en indiquant simplement mo ou ma à la place du terme qui serait la réponse à la question. Donc, le titre du livre, la lojban mo est une question dont la réponse serait la lojban EST-CECI-OU-CELA.
  • Le lojban permet de s'exprimer sans ambiguité, c'est là un élement essentiel de son cahier des charges. Mais il permet aussi de ne pas avoir à tout spécifier, si c'est inutile. Ainsi, en français, contrairement à l'anglais, on doit toujours préciser le genre de la personne dont on parle (comparez « je déjeune avec un ami » et « I have lunch with a friend »). En turc (exemple emprunté au Dictionnaire amoureux des langues), on doit toujours préciser si on a été témoin direct ou non du fait qu'on rapporte. En lojban, on peut omettre tout ce qu'on ne considère pas comme pertinent. Le genre de la personne, le temps des verbes, même le nombre de choses dont on parle sont optionnels. (Le lojban dispose de termes permettant, si on le juge utile, d'exprimer les nuances du turc sur l'observation directe ou pas d'un fait ; section « Evidentials », p. 104 dans l'édition papier.) Comme l'explique un excellent article du New York Times, les langues ne se différencient pas tant par ce qu'elles permettent ou empêchent de dire, mais par ce qu'elles imposent de préciser (ou pas).

Quelles ressources existent en lojban sur l'Internet ? Elles sont nombreuses, incluant un Wikipédia (peu rempli mais regardez par exemple l'article sur le phoque), un wiktionnaire (également peu rempli) et plein de choses en http://www.lobjan.org/. Il y a naturellement plusieurs listes de diffusion et canal IRC, avec un bot sympa qui me traduit un brivla et me donne ses arguments :

(23:05:39) bortzmeyer: valsi klama
(23:05:40) valsi: klama = x1 comes/goes to destination x2 from origin x3 via route x4 using means/vehicle x5. 

Quel est l'avenir du lojban ? C'est évidemment difficile à dire. Cette langue n'a pas échappé aux sorts de bien des projets marginaux, les scissions (en l'occurrence entre le Logical Language Group, qui gère le lojban, et le Loglan Institute, entre autre parce que le créateur originel de la langue prétendait détenir des droits de propriété intellectuelle.) Voir la FAQ à ce sujet.

Mais, au-delà de ces disputes assez glauques, le lojban reste une formidable aventure scientifique et intellectuelle. C'est un langage de geeks ? Tant pis, cela ne devrait pas arrêter les curieux.

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