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À propos du « blocage de Telegram en France »

Première rédaction de cet article le 13 mai 2023


Ce matin, bien des gens signalent un « blocage de Telegram en France ». Qu'en est-il ? Ce service de communication est-il vraiment censuré ?

En effet, la censure ne fait aucun doute. Si on teste avec les sondes RIPE Atlas, on voit (t.me est le raccourcisseur d'URL de Telegram) :

% blaeu-resolve --country FR --requested 200 --type A t.me
[149.154.167.99] : 98 occurrences 
[77.159.252.152] : 100 occurrences 
[0.0.0.0] : 2 occurrences 
Test #53643562 done at 2023-05-13T08:42:36Z
  

Un coup de whois nous montre que la première adresse IP, 149.154.167.99, est bien attribuée à Telegram (« Nikolai Durov, P.O. Box 146, Road Town, Tortola, British Virgin Islands ») mais que la seconde, 77.159.252.152, est chez SFR. Non seulement Telegram n'a pas de serveurs chez SFR, mais si on se connecte au site Web ayant cette adresse, on voit : telegram-censure-pedo.png

Cela ne marche pas en HTTPS (de toute façon, il y aurait eu un problème de certificat) car le serveur en question n'écoute apparemment qu'en HTTP classique.

Ce site Web est donc géré par le ministère de l'Intérieur, qui peut en effet enjoindre certains FAI de bloquer les sites pédopornographiques (depuis plusieurs années, rien de nouveau). Ici, il s'agit évidemment d'un mensonge grossier puisque Telegram n'est pas un site pédopornographique, mais un service de messagerie instantanée (qui, comme tout service de communication en ligne, peut parfois être utilisé pour des activités illégales).

La technique de censure est le résolveur DNS menteur : au lieu de relayer fidèlement les réponses des serveurs DNS faisant autorité, le résolveur ment et envoie l'adresse du serveur Web du ministère. Pourquoi est-ce que toutes les sondes RIPE Atlas ne voient pas le mensonge ? Parce que la liste des sites censurés est secrète, et que beaucoup de FAI, de réseaux locaux, de résolveurs DNS publics (comme celui de FDN mais attention, certains ont des défauts) ne reçoivent pas cette liste et ne censurent donc pas. Parmi ceux qui mettent en œuvre le blocage, il y a par exemple Orange (AS 3215) :

% blaeu-resolve  --requested 200 --as 3215 --type A t.me 
[149.154.167.99] : 35 occurrences 
[77.159.252.152] : 151 occurrences 
Test #53644573 done at 2023-05-13T09:04:06Z    
  

Même chez ce FAI, on notera que certaines sondes utilisent un résolveur non-menteur, par exemple un résolveur local. On trouve aussi le blocage chez des fournisseurs plus petits comme Adista :

% blaeu-resolve  --requested 200 --as 16347  --type A t.me
[149.154.167.99] : 3 occurrences 
[77.159.252.152] : 1 occurrences 
Test #53644745 done at 2023-05-13T09:08:42Z
  

Pourquoi ce blocage alors que, on l'a vu, Telegram n'est pas, contrairement à l'accusation diffamatoire du ministère, un service de distribution d'images pédopornographiques ? Notons d'abord que le domaine principal, vers lequel redirige https://t.me/ n'est pas touché :

% blaeu-resolve --country FR --requested 200 --type A telegram.org
[149.154.167.99] : 197 occurrences 
[0.0.0.0] : 2 occurrences 
Test #53644470 done at 2023-05-13T09:02:00Z
  

Il s'agit d'une bavure, comme ça s'est déjà produit, et comme confirmé par « un porte-parole de la police nationale » cité par Le Monde. Gageons que le ministère ou les FAI ne communiqueront jamais et n'expliqueront rien.

Le service a été rétabli quelques heures après :

% blaeu-resolve --country FR --requested 200 --type A t.me
[149.154.167.99] : 199 occurrences 
[ERROR: SERVFAIL] : 1 occurrences 
Test #53674858 done at 2023-05-13T20:18:14Z
  

Un point important est la gestion des données personnelles. Le code de la page du site Web du ministère contient :


<script type="text/javascript">

	var tag = new ATInternet.Tracker.Tag();

tag.page.set({
	    name:'pedo-pornographie',
	    level2:'27'
	});
	tag.dispatch();

</script>

  

Ce petit programme en JavaScript enregistre donc les visites, auprès du service « ATInternet », en étiquetant tout visiteur, pourtant bien involontaire, comme pédo-pornographe. (Ceci, en plus de l'enregistrement habituel de l'adresse IP du visiteur dans le journal du serveur HTTP.)

Un petit point technique amusant pour finir : le serveur du ministère (celui hébergé chez SFR) n'a pas IPv6 (on est en 2023, pourtant) donc les résolveurs menteurs ne savent pas trop quoi renvoyer :

% blaeu-resolve --country FR --requested 200 --type AAAA t.me       
[2001:67c:4e8:f004::9] : 104 occurrences 
[::1] : 78 occurrences 
[] : 16 occurrences 
[::] : 1 occurrences 
[ERROR: SERVFAIL] : 1 occurrences 
Test #53646044 done at 2023-05-13T09:34:15Z
  

(2001:67c:4e8:f004::9 est la vraie adresse IP de Telegram, ::1 est l'adresse de la machine locale.)

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