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Mon livre « Cyberstructure »

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Fiche de lecture : Le libre pensée dans le monde arabo-musulman

Auteur(s) du livre : Ouvrage collectif
Éditeur : Fédération de la Libre Pensée
978-2-916801-23-0
Publié en 2023
Première rédaction de cet article le 22 février 2024


En France en 2024, le discours politique sur le monde arabo-musulman est souvent fondé sur une assignation identitaire, qui suppose que toute personne élevée dans un milieu musulman est forcément croyante, voire bigote, ou même islamiste. La réalité est différente et le monde arabo-musulman a lui aussi ses libres penseurs qui n'acceptent pas aveuglément les dogmes religieux, et encore moins les humains qui les utilisent pour assoir leur pouvoir. Cet ouvrage rassemble un certain nombre de contributions, très diverses, sur des libres penseurs dans l'histoire du monde arabo-musulman.

Tout le monde a entendu parler d'Omar Khayyam, bien sûr. Mais la plupart des autres libres penseurs décrits dans l'ouvrage sont nettement moins connus en Occident. Ils ne forment pas un groupe homogène : certains sont athées, d'autres simplement méfiants vis-à-vis de la religion organisée. Il faut aussi noter que le livre couvre treize siècles d'histoire et une aire géographique très étendue ; il n'est pas étonnant que la diversité de ces libres penseurs soit grande. Le livre contient aussi des textes qui remettent en perspective ces penseurs, par exemple en détaillant le mouvement de la Nahda ou bien en critiquant le mythe de la tolérance religieuse qui aurait régné en al-Andalus.

Le livre est assez décousu, vu la variété des contributeurs. On va de textes plutôt universitaires à des articles davantage militants (et certains sont assez mal écrits, je trouve, et auraient bénéficié d'une meilleure relecture). Mais tous ont le même mérite : tirer de l'oubli des libres penseurs souvent invisibilisés comme Tahar Haddad ou Ibn al-Rawandi. Et vous apprendrez de toute façon plein de choses (je ne connaissais pas le mutazilisme).


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Fiche de lecture : Atlas du numérique

Auteur(s) du livre : Ouvrage collectif
Éditeur : Les presses de SciencesPo
978-2-7246-4150-9
Publié en 2023
Première rédaction de cet article le 21 février 2024


Cet atlas illustre (au sens propre) un certain nombre d'aspects du monde numérique (plutôt axé sur l'Internet). Beaucoup de données et d'infographies sous les angles économiques, sociaux et politiques.

L'ouvrage est très graphique, et riche. Tout le monde y trouvera des choses qui l'intéressent comme le spectaculaire tableau des systèmes d'exploitation p. 18 ou bien la représentation astucieuse de l'alternance des modes en IA p. 33 ou encore la visualisation de la censure en Russie p. 104 (tirée des travaux de Resistic). Les résultats ne sont pas forcément surprenants (p. 61, les youtubeurs les plus populaires sur les sujets de la voiture ou de la science sont des hommes, sur les sujet animaux, style et vie quotidienne, ce sont des femmes). Mais plusieurs articles mettent aussi en cause certaines analyses traditionnelles comme p. 82 celui qui dégonfle le mythe « fake news » (ou plus exactement leur instrumentalisation par les détenteurs de la parole officielle).

Les utilisations de l'Internet (en pratique, surtout les réseaux sociaux centralisés) sont très détaillées, par contre l'infrastructure logicielle est absente (la matérielle est présente via des cartes de câbles sous-marins et des articles sur l'empreinte environnementale).

Les infographies sont magnifiques mais souvent difficiles à lire, en raison de leur petite taille (sur la version papier de l'ouvrage) et du fait que chacune est le résultat de choix de présentation différents. D'autre part, les couleurs sont parfois difficiles à distinguer (p. 31 par exemple). Et l'axe des X ou celui des Y manque parfois, comme dans l'article sur la viralité p. 56 qui n'a pas d'ordonnées. Il faut dire que certaines réalités sont très difficiles à capturer comme la gouvernance de l'Internet p. 101, sujet tellement complexe qu'il n'est pas sûr qu'il aurait été possible de faire mieux.

Plus gênantes sont les bogues comme p. 31 la Quadrature du Net et FFDN classées dans « Secteur économique et start-ups ». Ou bien p. 37 LREM considéré comme plus à gauche que le PS


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Fiche de lecture : The Wager

Auteur(s) du livre : David Grann
Éditeur : Simon & Schuster
976-1-47118367-6
Publié en 2023
Première rédaction de cet article le 20 février 2024


Si vous aimez les histoires de bateau à voile, avec naufrages, mutineries, iles désertes et tout ça, ce roman vous emballera. Sauf que ce n'est pas un roman, le navire « The Wager » a vraiment existé et vraiment fait vivre toutes ces aventures à son équipage.

Le livre a été écrit par David Grann, connu comme l'auteur de « Killers of the flower moon ». En attendant que Scorsese en fasse un film, comme il l'a fait de « Killers of the flower moon », je recommande fortement la lecture du livre. « The Wager », navire de guerre anglais, n'a eu que des malheurs pendant la guerre de l’oreille de Jenkins. Départ retardé, épidémies à bord alors même qu'il était encore à quai, problèmes divers en route, une bonne partie de l'équipage mort alors même que le Wager n'a pas échangé un seul coup de canon avec les Espagnols. Le bateau finit par faire naufrage en Patagonie. À cette époque, sans radio, sans GPS, sans même de mesure de longitude correcte, de tels naufrages n'étaient pas rares. (Le livre parle aussi d'une escadre espagnole qui a tenté d'intercepter celle où se trouvait le Wager, et n'a pas été plus heureuse.)

Ce qui est plus original dans le cas du Wager est que des survivants sont rentrés séparement en Angleterre et qu'ils ont raconté des histoires très différentes sur le naufrage et la mutinerie qui a suivi. Chacun (en tout cas ceux qui savaient écrire ou bien trouvaient quelqu'un pour le faire pour eux) a publié sa version et l'auteur de ce livre essaie de rendre compte des différents points de vue.

Donc, pas un roman mais autant de rebondissements que dans un roman. Vous feriez comment, vous, pour rentrer en Angleterre si vous étiez coincé sur une des iles les plus inhospitalières d'une des régions les plus inhospitalières du monde ? Le plus extraordinaire est que plusieurs groupes de survivants y sont arrivés, par des moyens différents.

Sinon, les informaticien·nes noteront que l'arrière-grand-père d'Ada Lovelace était à bord (il fait partie de ceux qui ont écrit un livre sur le voyage du Wager). Les fans de Patricio Guzmán verront que cela se passe au même endroit que son film « Le bouton de nacre » (et on croise dans le livre les mêmes Kawésqars).


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Fiche de lecture : Penser la transition numérique

Auteur(s) du livre : Ouvrage collectif
Éditeur : Les éditions de l'atelier
978-2-7082-5410-7
Publié en 2023
Première rédaction de cet article le 19 février 2024


Comme les lecteurices de ce blog le savent sûrement, je pense que la place prise par le numérique dans nos vies justifie qu'on réfléchisse sérieusement à cette transition que nous vivons. Donc, ce livre est une bonne idée. Mais, comme beaucoup d'ouvrages collectifs, il souffre d'un manque évident de coordination entre les auteurices, dont les différentes contributions sont de niveaux très inégaux.

On y croise ainsi des baratineurs classiques comme Luc Ferry, personnage qu'on aurait pu penser définitivement démonétisé. Sans surprise, il parle d'un sujet cliché, le transhumanisme (le mannequin de paille classique de beaucoup d'« intellectuels » français). Sans aller aussi loin dans la vacuité, on trouve aussi dans ce livre des articles par des auteurs dont on peut se demander s'ils maitrisent leur sujet. Ainsi une auteure présentée comme spécialiste des questions bancaires déplore que l'IA a des biais quand elle décide d'accorder un prêt ou pas (un exemple, typique de la sur-utilisation de la notion de biais ; évidemment qu'un outil d'aide à la décision en matière de prêts va être mal disposé envers les gens ayant des revenus faibles et irréguliers). Le texte de présentation de chaque contribution a aussi sa part de responsabilité, comme celui de l'article sur la chaine de blocs qui dit que les données sont cryptées (et, non, le problème n'est pas l'utilisation de cet terme, « chiffrées » n'aurait pas été mieux). Enfin lisant un livre qui se veut de réflexion sur le numérique, je vois la phrase « les technologies digitales sont des technologies qui sont faciles à prendre en main », et je me demande si l'auteur l'a fait exprès.

Bon, assez critiqué, il y a aussi des analyses intéressantes (j'ai dit intéressantes, pas forcément que j'étais 100 % d'accord) : Pauline Türk réfléchit sur l'utilisation du numérique pour améliorer le processus démocratique, Ophélie Coelho traite de géopolitique et détaille les risques liés à la dépendance vis-à-vis d'entreprises ou d'États, Lionel Maurel plaide pour l'ouverture des résultats des recherches scientifiques, mais aussi (avec nuances) pour l'ouverture des données de recherche, Philippe Bihouix explique concrètement comment réduire l'empreinte environnementale, Jessica Eynard questionne l'identité numérique (même si je la trouve bien trop optimiste sur le projet d'identité numérique étatique au niveau de l'UE), Amine Smihi décrit la vidéosurveillance vue de son rôle d'élu local, etc.

Bref, un tour d'horizon de beaucoup de questions que pose la place du numérique dans notre société.


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Fiche de lecture : La réputation

Auteur(s) du livre : Laure Daussy
Éditeur : Les échappés
978-2-35766-198-1
Publié en 2023
Première rédaction de cet article le 26 novembre 2023


Ce livre parle d'un féminicide, l'assassinat de Shaïna Hansye en 2019. Et regarde de près l'environnement où ce crime a eu lieu. Ce n'était pas un fait isolé, mais le produit de plusieurs phénomènes, dont le sexisme et les injonctions à la « pureté » contre les filles et femmes.

Le meurtre a eu lieu à Creil et l'assassin était le « petit ami » de la victime. La journaliste Laure Daussy est allé interroger les parents de Shaïna, ses amies, les enseignants, les associations pour comprendre ce qui s'est passé. Creil cumule les problèmes : services publics supprimés ou défaillants, chômage massif, montée de l'islamisme, etc. Pour ne citer qu'un exemple, la maternité, où les jeunes filles pouvaient avoir des conseils sur la contraception et l'IVG a fermé, les habitantes sont censées aller à Senlis, ville avec laquelle il n'y a pas de liaison par transports en commun. Les jeunes filles sans permis de conduire sont donc privées de toute information, sauf si leurs parents acceptent de les emmener (ce qui n'est pas toujours facile à demander !). Les « territoires perdus de la République », dont les médias aiment bien parler, c'est aussi ça : une ville abandonnée des pouvoirs publics. Un autre exemple est donné par l'incroyable passivité de la police lorsque Shaïna, deux ans avant le meurtre, était allé porter plainte pour un viol. Beaucoup de femmes n'osent pas porter plainte, craignant (à juste titre) qu'elles se retrouvent accusées ou stigmatisées ou bien que cela ne serve à rien. Ici, l'enquête de la police et l'instruction judiciaire se sont déroulées avec lenteur, le jugement n'ayant eu lieu qu'après le meurtre de la victime.

Mais l'un des principaux problèmes n'est pas directement lié à cet abandon. C'est la question de la réputation, qui donne son titre à l'enquête. Des hommes ont décidé de contrôler la vie des femmes et notamment par le biais du contrôle de leur vie affective et sexuelle. Une jeune fille qui vit un peu librement peut vite se retrouver marquée par l'étiquette « fille facile ». Souvent, il n'est même pas nécessaire de vouloir vivre sa vie, toute fille peut se retrouver ainsi étiquetée, par exemple parce qu'un homme a voulu se « venger » d'elle. Si personne, parlant à la journaliste, n'a osé défendre ouvertemement le meurtre de Shaïna, en revanche plusieurs de ses interlocuteurs ont relativisé ce meurtre, le justifiant par le statut de « fille facile » de la victime.

Le terme revient souvent lorsque les hommes (et parfois aussi les femmes) parlent à l'auteure. Le poids des préjugés, celui, grandissant, de la religion, le sexisme se combinent pour enfermer les femmes de Creil. Toutes portent en permanence le poids de cette injonction à la réputation.


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Fiche de lecture : Ni Web, ni master

Auteur(s) du livre : David Snug
Éditeur : Nada
9-791092-457513
Publié en 2022
Première rédaction de cet article le 20 novembre 2023


J'avoue, j'ai acheté cette BD pour le titre, référence à un ancien slogan anarchiste. Il y a d'autres jeux de mots dans ce livre. Mais le point important est que c'est une critique vigoureuse du Web commercial et de ses conséquences sur la société.

L'inconvénient des librairies comme Quilombo est qu'une fois qu'on y va pour quelque chose de précis, on se laisse prendre et on achète des livres pas prévus. En l'occurrence, la librairie a pas mal de livres luddites, assez variés. Cette BD imagine un auteur un peu âgé, fan de toutes les possibilités du Web commercial, et qui rencontre son moi du passé qui a voyagé dans le temps pour voir comment était le futur. Le David Snug du passé découvre donc Amazon, Uber Eats, Spotify, etc.

J'aime le style des dessins, et la vision de la ville moderne, où tout le monde est accroché à son ordiphone sonne juste. De même, l'auteur dénonce avec précision les conséquences concrètes du Web commercial, comme l'exploitation des travailleurs sans-papier pour la livraison des repas. C'est souvent très drôle, et rempli de jeux de mots mêlant termes du monde numérique et vieux slogans anarchistes. (Il y en a même un sur les noms de domaine.) C'est parfois, comme souvent avec les luddites, un peu trop nostalgique (« c'était mieux avant ») mais, bon, le fait que le passé connaissait déjà l'exploitation de l'homme par l'homme n'excuse pas le présent.

Bref, c'est un livre que je peux conseiller pour des gens qui n'ont pas perçu le côté obscur du Web commercial. (Si, par contre, vous lisez tous les articles du Framablog, vous n'apprendrez sans doute rien, mais vous passerez quand même un bon moment.) Je regrette quand même que l'auteur ne semble connaitre de l'Internet que le Web et du Web que les GAFA. Ainsi, Wikipédia est expédié en une phrase, pas très correcte.

Un conseil pour finir : ne lisez pas la postface qui, elle est franchement conservatrice et défend une vision passéiste du monde, d'un courant politique qu'on peut qualifier d'« anarchiste primitiviste ». Encore pire, la bibliographie, qui va des réactionnaires comme Michel Desmurget à l'extrême-droite, avec Pièces et Main d'Œuvre. C'est là qu'on se rend compte que le courant luddite a du mal à trancher avec les défenseurs de l'ordre naturel sacré.


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Fiche de lecture : Ada & Zangemann

Auteur(s) du livre : Matthias Kirschner, Sandra Brandstätter
Éditeur : C&F Éditions
978-2-37662-075-4
Publié en 2023
Première rédaction de cet article le 8 novembre 2023


Ce livre pour enfants a pour but de sensibiliser au rôle du logiciel dans nos sociétés. Difficile aujourd'hui d'avoir quelque activité que ce soit, personnelle ou professionnelle, sans passer par de nombreux programmes informatiques qui déterminent ce qu'on peut faire ou pas, ou, au minimum, encouragent ou découragent certaines actions. Les enfants d'aujourd'hui vont vivre dans un monde où ce sera encore plus vrai et où il est donc crucial qu'ils apprennent deux ou trois choses sur le logiciel, notamment qu'il existe du logiciel libre.

Le livre est originellement écrit en allemand, je l'ai lu dans la traduction française, publiée chez C&F Éditions. Il a été écrit à l'initiative de la FSFE.

Donc, l'histoire. Zangemann (un mélange de Jobs, Gates, Zuckerberg et Musk) est un homme d'affaires qui a réussi en fabriquant entre autres des objets connectés dont il contrôle complètement le logiciel, et il ne se prive pas d'appliquer ses règles suivant sa volonté du moment. Les utilisateurices des objets sont désarmé·es face à ces changements. Ada est une petite fille qui commence par bricoler du matériel (c'est plus facile à illustrer que la programmation) puis comprend le rôle du logiciel et devient programmeuse (de logiciels libres, bien sûr). Je ne vous raconte pas davantage, je précise juste, pour mes lecteurices programmeur·ses que ce n'est pas un cours de programmation, c'est un conte pour enfants. Le but est de sensibiliser à l'importance du logiciel, et d'expliquer que le logiciel peut être écrit par et pour le peuple, pas forcément par les Zangemann d'aujourd'hui.

Le livre est sous une licence libre. J'ai mis une illustration sur cet article car la licence est compatible avec celle de mon blog, et cela vous permet de voir le style de la dessinatrice : ada-zangemann.png

Je n'ai par contre pas aimé le fait que, à part pour les glaces à la framboise, les logiciels ne soient utilisés que pour occuper l'espace public sans tenir compte des autres. Zangemann programme les planches à roulette connectées pour ne pas rouler sur le trottoir et donc respecter les piétons ? Ada écrit du logiciel qui permet aux planchistes d'occuper le trottoir et de renverser les personnes âgées et les handicapé·es. L'espace public est normalement un commun, qui devrait être géré de manière collective, et pas approprié par les valides qui maitrisent la programmation. Le film « Skater Girl » représente bien mieux cette tension entre planchistes et autres utilisateurs. Un problème analogue se pose avec les enceintes connectées où la modification logicielle va permettre de saturer l'espace sonore (un comportement très macho, alors que le livre est censé être féministe) et de casser les oreilles des autres. Remarquez, cela illustre bien le point principal du livre : qui contrôle le logiciel contrôle le monde.

Le livre parait en français le premier décembre. La version originale est déjà disponible, ainsi que la version en anglais.


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Fiche de lecture : Géopolitique du numérique

Auteur(s) du livre : Ophélie Coelho
Éditeur : Éditions de l'Atelier
978-2-7082-5402-2
Publié en 2023
Première rédaction de cet article le 10 septembre 2023


D'innombrables livres (sans compter les colloques, séminaires, journées d'études, articles et vidéos) ont déjà été consacrés à la géopolitique du numérique, notamment à l'Internet. Ce livre d'Ophélie Coelho se distingue par son côté pédagogique (il vise un public exigeant mais qui n'est pas forcément déjà au courant des détails) et par sa rigueur (beaucoup de ces livres ont été écrits par des gens qui ne connaissent pas le sujet). Il couvre les enjeux de pouvoir autour des services de l'Internet (qui ne se limite pas à Facebook !). Le livre est vivant et bien écrit (malgré l'abondance des notes de bas de page, ce n'est pas un livre réservé aux universitaires).

J'apprécie le côté synthétique (le livre fait 250 pages), qui n'empêche pourtant pas de traiter en détail des sujets pas forcément très présents quand on parle de ce sujet (comme le plan Marshall, un exemple de soft power). À propos de ce plan, on peut également noter que le livre s'inscrit dans le temps long et insiste sur des déterminants historiques, comme l'auteure le fait dans son analyse du Japon.

Le livre, je l'ai dit, est clair, mais cela ne l'empêche pas de parler de questions complexes et relativement peu connues (le slicing de la 5G, par exemple, qui a été très peu mentionné dans les débats sur la 5G).

J'ai aussi beaucoup aimé le concept de « passeur de technologie » qui permet bien de comprendre pourquoi, alors que les discours « au sommet » sont souverainistes, à la base, des milliers de passeurs au service des GAFA promeuvent (gratuitement !) les technologies étatsuniennes. Le rôle de tous ces commerciaux bénévoles est souvent sous-estimé.

Ce livre ne se limite pas à analyser l'importance des acteurs du numérique (qui ne sont pas du tout des purs intermédiaires techniques), notamment du Web, mais propose également des solutions, comme le recours aux logiciels libres mais aussi et surtout une indispensable éducation au numérique (éducation critique, pas uniquement apprendre à utiliser Word et TikTok !). L'utilisateurice ne doit pas être un simple « consommateur d'interfaces » mais doit être en mesure d'exercer ses droits de citoyen·ne, même quand cet exercice passe par des ordinateurs.

L'auteure ne manque pas de critiquer plusieurs solutions qui ont largement fait la preuve de leur inefficacité, comme les grands projets étatiques qui, sous prétexte de souveraineté, servent surtout à arroser les copains (par exemple Andromède).

Des reproches ? Il n'y a pas d'index, ce qui aurait été utile, et quelques erreurs factuelles sont restées (Apollo ne s'est posé sur la Lune qu'en 1969, l'ICANN n'a pas un rôle aussi important que ce qui est présenté). Je ne suis pas non plus toujours d'accord avec certaines présentations de l'histoire de l'Internet. Par exemple, le fait que le Web soit « ouvert » (spécifications librement disponibles et implémentables, code de référence publié) n'est pas du tout spécifique au Web et était la règle dans l'Internet de l'époque. Mais que ces critiques ne vous empêchent pas de lire le livre : sauf si vous êtes un·e expert·e de la géopolitique du numérique, vous apprendrez certainement beaucoup de choses.

À noter que le livre est accompagné d'un site Web, http://www.geoponum.com/.

Autres article parlant de ce livre :


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Fiche de lecture : Artificial intelligence and international conflict in cyberspace

Auteur(s) du livre : Fabio Cristano, Dennis Broeders, François Delerue, Frédérick Douzet, Aude Géry
Éditeur : Routledge
978-1-03-225579-8
Publié en 2023
Première rédaction de cet article le 1 août 2023


L'IA est partout (même si le terme est très contestable, et est utilisé à toutes les sauces sans définition rigoureuse) et il est donc logique de se demander quel sera son rôle dans les conflits (notamment les guerres). Cet ouvrage universitaire collectif rassemble divers points de vue sur la question, sous l'angle du droit, et de la géopolitique.

Bon, justement, c'est un ouvrage collectif (dont la coordination a été assurée en partie par des chercheuses de GEODE, dont je recommande le travail). Comme tous les ouvrages collectifs, les points de vue, le style, et les méthodes sont variées. Et puis, commençons par cela, le sujet est relativement nouveau, il a produit beaucoup de fantasmes et de délires mais encore peu de travaux sérieux donc ce livre est une exploration du champ, pas un ensemble de réponses définitives. Attention, il est plutôt destiné à des universitaires ou en tout cas à un public averti.

Tous les articles ne concernent d'aileurs pas directement le sujet promis par le titre. (L'article de Arun Mohan Sukumar, par exemple, article par ailleurs très intéressant, ne parle d'IA que dans son titre, et ne concerne pas vraiment les conflits internationaux.) C'est en partie dû au fait que le terme flou d'IA regroupe beaucoup de choses, pas clairement définies. On peut aussi noter que certains articles incluent de l'IA mais sont en fait plus généraux : l'article de Jack Kenny sur l'intervention de pays étrangers dans les processus électoraux en est un bon exemple (le fait que le pays qui intervient utilise ou pas l'IA ne me semble qu'un détail).

Pour les articles qui parlent d'IA, de nombreux sujets sont abordés : éthique de l'IA dans la guerre (mais je n'ai pas de réponse à la question « est-ce que les humains font mieux, sur le champ de bataille ? »), régulation (sujet difficile en droit international ; et puis il est bien plus difficile de contrôler les IA que des missiles, qui sont difficiles à dissimuler), souveraineté numérique, etc.

Bref, il me semble que la question est loin d'être épuisée. Non seulement on ne peut pas s'appuyer sur une définition claire de ce qui est inclus sous l'étiquette « IA » mais on n'a pas encore bien décrit en quoi l'IA changeait les choses et justifiait un traitement particulier. Lorsqu'un drone se dirige vers sa cible, en quoi le fait que son logiciel soit qualifié d'« IA » est-il pertinent, pour les questions d'éthique et de droit de la guerre ? Une réponse évidente est « lorsqu'il peut choisir sa cible, et pas seulement se diriger vers celle qu'on lui a affecté ». Mais cela restreindrait sérieusement le nombre de systèmes qu'on peut qualifier d'« IA ».

Le livre en version papier est plutôt cher (déclaration : j'ai eu un exemplaire gratuitement) mais on peut aussi le télécharger gratuitement. Chaque article a une longue bibliographie donc vous aurez beaucoup de lecture cet été.


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Fiche de lecture : Catalogue des vaisseaux imaginaires

Auteur(s) du livre : Stéphane Mahieu
Éditeur : Éditions du Sandre
9-782358-211505
Publié en 2022
Première rédaction de cet article le 21 mars 2023


Un livre qui donne envie de voyager et de lire : l'auteur a dressé un catalogue de bateaux qui apparaissent dans des œuvres de fiction. Chaque entrée résume le bateau, sa carrière, son rôle dans le roman, et est l'occasion de passer d'œuvres archi-connues à des textes bien moins célèbres.

On y trouve le Titan, du roman « Le naufrage du Titan » (avec des notes mettant en avant, non pas les ressemblances avec le Titanic, comme souvent, mais les différences), le Fantôme du « Loup des mers » (un roman politique bien plus qu'un livre d'aventures maritimes), et bien sûr le Nautilus. Mais l'auteur présente aussi des vaisseaux issus de romans plus obscurs (en tout cas en France), comme l'Étoile polaire (dans le roman d'Obroutchev), le Leviatán, issu de l'imagination de Coloane ou le Rose-de-Mahé, créé par Masson.

À noter que la bande dessinée n'est pas représentée (ni le cinéma, d'ailleurs). L'entrée pour la Licorne ne décrit pas le vaisseau du chevalier de Hadoque mais elle parle d'un recueil d'histoires anciennes (le livre est sur le projet Gutenberg).

Bref, plein d'idées de lectures vont vous venir en parcourant ce livre… Mettez votre ciré, vérifiez les provisions de bord (et les armes !) et embarquez.


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Fiche de lecture : Plutôt nourrir

Auteur(s) du livre : Clément Osé, Noémie Calais
Éditeur : Tana
979-10-301-0424-0
Publié en 2022
Première rédaction de cet article le 20 mars 2023


Le débat sur la consommation de viande est souvent binaire, entre d'un côté les partisans de l'agriculture industrielle et de l'autre des animalolâtres qui refusent toute utilisation des animaux. Ce livre raconte le point de vue d'une éleveuse de porcs, qui essaie de faire de l'élevage de viande en échappant aux logiques industrielles.

Les partisans de l'agriculture industrielle reprochent souvent à leux opposants animalistes de ne rien connaitre à l'agriculture et au monde paysan. Ce n'est pas faux, mais, justement, ce livre est écrit, à deux mains, par des personnes qui vivent à la campagne, et qui travaillent la terre. Noémie Calais, l'éleveuse, a quitté son travail de consultante internationale pour s'occuper de porcs dans le Gers. Le travail quotidien est difficile (être paysanne n'a rien de romantique), et plein de questions se bousculent : a-t-on le droit d'élever des animaux pour finalement les tuer, comment faire une agriculture bio (ou à peu près) sans faire venir des kiwis, certes bios, mais transportés par avion depuis l'autre bout du monde, comment essayer de faire les choses proprement dans un environnement légal et économique où tout pousse à la concentration et à l'agriculture industrielle, avec toutes ses horreurs (pour les humains, comme pour les animaux). Les auteurs n'esquivent aucune question. Oui, il est légitime de manger les animaux, non, cela ne veut pas dire qu'il faut faire n'importe quoi.

Le livre va du quotidien d'une paysanne aux questions plus directement politiques, comme la réglementation délirante qui, sous couvert de protéger les consommateurs, crée tellement de normes et de certifications abstraites et déconnectées du terrain que seuls les gros, donc en pratique l'agriculture industrielle, ont des chances d'arriver à les respecter. Les arguments sanitaires, par exemple, peuvent être un prétexte pour démolir les circuits locaux. (Le cas n'est pas dans ce livre mais, par exemple, les règles de respect de la chaine du froid pour les fromages, qui sont les mêmes pour le fromage industriel sous plastique qui vient de l'autre bout du pays, et pour les dix ou vingt fromages de chèvre produits à deux kilomètres du marché sont un exemple typique.)

À lire avant d'aller au supermarché faire ses achats !


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Fiche de lecture : Datamania - le grand pillage de nos données personnelles

Auteur(s) du livre : Audric Gueidan, Halfbob
Éditeur : Dunod
978-2-10-083732-1
Publié en 2023
Première rédaction de cet article le 15 mars 2023


La plupart des lecteurices de ce blog savent que, sur l'Internet, on laisse des traces partout et que nos données personnelles sont peu protégées. (Le discours policier « l'Internet, c'est l'anonymat » est de la pure propagande.) Mais bien que ce fait soit largement connu et documenté, même au-delà des lecteurices de ce blog, on ne constate pas de changement de comportement des utilisateurices. Ceux et celles-ci continuent à distribuer trop largement leurs données personnelles. Il y a de nombreuses raisons à cet état de fait et je ne vais pas toutes les discuter. Mais une des raisons, pensent les auteurs de ce livre, est le manque d'information ; les utilisateurices ont bien entendu dire qu'il y avait des problèmes avec les données personnelles mais ielles ne mesurent pas complètement l'ampleur de ces problèmes, ni les formes qu'ils prennent. Comment leur expliquer ? Les auteurs tentent une BD, « Datamania ».

Alors, une BD, c'est du texte et du dessin. Personnellement, je ne suis pas très enthousiaste pour ce style de dessin (vous pouvez voir certains de ces dessins dans l'article de GeekJunior) mais comme les goûts artistiques varient, je n'argumenterai pas sur ce point. Le texte est léger et amusant, et couvre bien les sujets. Aucune erreur technique, les auteurs font preuve de beaucoup de rigueur. L'idée est d'expliquer à des gens qui n'ont pas envie de lire tous les rapports de la CNIL. Est-ce réussi ? Bon, il est clair que je ne suis pas le cœur de cible, le livre vise des gens pas très informés. Mais, justement, je trouve que le livre n'explique pas assez et qu'il abuse des private jokes. Certaines de ces allusions sont expliquées dans l'annexe « Avez-vous remarqué ? » mais j'avoue que je me suis demandé si un·e lecteurice ordinaire ne va pas rester perplexe. (Les lecteurices qui connaissent le sujet peuvent s'amuser, sans lire cette annexe, à repérer toutes les allusions à des personnes ou organisations connues.)

Le sujet, il est vrai, est très riche et très complexe. Le livre parle de surveillance, de logiciel libre, de cookies, de chiffrement et de beaucoup d'autres choses, et ne peut évidemment pas tout traiter en détail. (Un gros plus pour avoir cité Exodus Privacy.) Je conseillerai de l'utiliser comme introduction, ou comme support à des ateliers mais je ne suis pas sûr qu'il puisse être utilisé en autonomie par des utilisateurices ordinaires. (Bon, après, c'est vrai que je suis exigeant ; qu'en pensent d'autres personnes ? Voyez l'article de GeekJunior ou celui de Médias-Cité.)

Note : j'ai reçu un exemplaire gratuit du livre de la part des auteurs.


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Fiche de lecture : Petite histoire du compagnonnage

Auteur(s) du livre : François Icher
Éditeur : Cairn
978-2-35068-753-7
Publié en 2019
Première rédaction de cet article le 8 septembre 2022


Vous connaissez le compagnonnage ? Probablement de nom, puisque ce système de formation et d'entraide dans le monde du travail manuel est ancien et souvent cité, par exemple lorsqu'on a parlé des réparations de Notre-Dame de Paris après l'incendie. Mais en dehors de généralités, le compagnonnage n'est pas forcément bien connu, alors qu'il a une longue histoire, résumée dans ce livre.

Le travail de l'historien sur ce sujet est à la fois facile (de nombreux documents sont disponibles) et difficile car il y a tout un folklore compagnonnique, avec ses légendes (les racines du compagnonnage au temps du roi Salomon…) et que les compagnons ne sont pas forcément ravis de voir un historien extérieur documenter leur mouvement. L'auteur se concentre évidemment sur les faits établis, qui font remonter les sources du compagnonnage, non pas au temple de Jérusalem, mais au Moyen Âge, ce qui n'est déjà pas mal. En rupture avec le système médiéval des corporations, devenu figé, voire « aristocratique », le compagnonnage est né de la volonté de certaines catégories de travailleurs manuels de s'entraider et de se former entre eux, par l'échange et le voyage (le fameux « Tour de France »). Ces compagnons ont ensuite développé un certain nombre de traditions (parfois confondues, à tort, avec celles des francs-maçons, mouvement nettement plus bourgeois) et de règles, notamment d'entraide et de fraternité.

On croit souvent qu'il n'y a qu'une sorte de compagnon mais en fait, depuis longtemps, les compagnons sont divisés entre plusieurs obédiences qui, à certaines époques, réglaient leurs divergences par la violence. Le chemin du Tour de France n'était pas un long fleuve tranquille. Les chansons de marche que les compagnons entonnaient pour se donner du courage sur la route étaient fréquemment des chants guerriers dirigés contre les autres obédiences. (Le même auteur a fait le scénario d'une BD sur Agricol Perdiguier, un compagnon du XIXe siècle resté célèbre par sa lutte incessante contre ces affrontements fratricides. Une de ses actions a été d'écrire des chansons pour les marches et les fêtes, qui ne soient pas un appel à la violence. Un feuilleton célèbre de l'ORTF avait son scénario fondé sur ces violences.) Le compagnonnage n'a évidemment jamais échappé aux problèmes politiques de son temps : catholiques stricts contre laïcs au XIXe siècle, par exemple. Mais il y avait aussi des rivalités de boutique (monopole d'accès à certains travaux) et du simple sectarisme.

Le compagnonnage a ensuite été ébranlé par la révolution industrielle, qui a semblé un moment condamner l'artisan qualifié qu'était le compagnon, par le socialisme, qui rejetait ce mouvement qui se voulait souvent élitiste, par les divers soubresauts du XXe siècle (ah, la malheureuse tentative de rénovation du compagnonnage sous le patronage de… Pétain).

Le livre décrit toutes ces aventures du mouvement compagnonnique, et son état actuel. Toujours divisé, avec trois importantes obédiences et plusieurs plus petites, le mouvement existe toujours. L'auteur explique les divergences entre ces obédiences mais je dois dire que ce n'est pas forcément facile à décrypter pour un lecteur situé à l'extérieur du mouvement compagnonnique. Ce mouvement s'est parfois adapté au monde moderne (admission des femmes à partir de 2004), mais reste également fidèle à ses origines, notamment la valorisation du travail manuel, et l'importance de la transmission du savoir.


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Fiche de lecture : Néandertal nu

Auteur(s) du livre : Ludovic Slimak
Éditeur : Odile Jacob
978-2-7381-5723-2
Publié en 2022
Première rédaction de cet article le 1 septembre 2022


L'homme de Néandertal fait l'objet de nombreux travaux de « réhabilitation » depuis des années, le présentant comme l'égal en tout de l'Homo Sapiens moderne que nous sommes. Dans ce livre, Slimak questionne cette vision et se demande si elle n'a pas tendance à considérer l'Homo Sapiens moderne comme la référence absolue.

Ce pauvre Néandertal était, au XIXe siècle et au début du XXe, présenté comme une brute stupide, sans sentiments religieux ou artistiques, et cannibale, pendant qu'on y était. Les reconstitutions le montraient plutôt comme un singe que comme un homme. Depuis un certain temps, cette vision est contestée, et la tendance est plutôt à dire que Néandertal, s'il vivait aujourd'hui, serait notre égal en presque tout et devrait avoir le droit de vote. Trouvée sur Wikimedia Commons, une image moderne (et qui fait écho au titre du livre) : Homo_neanderthalensis_man_model.jpg.

Ludovic Slimak reprend la question dans ce court livre. Il fait d'abord remarquer que beaucoup de théories sur les humains du passé sont fragiles, reposant sur peu de données, et de datations parfois délicates. Le risque de raisonnement circulaire est important ; on trouve un certain type d'artefacts avec des squelettes d'Homo Sapiens moderne, puis on trouve des artefacts analogues en un autre endroit, sans squelettes associés, on en déduit que des Homo Sapiens les ont réalisés et finalement que Néandertal n'a rien fait. Alors qu'il était peut-être l'auteur du second jeu d'artefacts.

Mais, surtout, l'auteur s'interroge sur cette tendance à vouloir réhabiliter Néandertal en insistant sur le fait qu'il était comme nous. Est-ce que cela n'indique pas un certain refus de la différence, si Néandertal n'était acceptable que s'il était plus ou moins identique à nous ? Slimak estime qu'on n'a pas de vraies preuves que Néandertal ait eu une activité artistique. Mais est-ce que cela veut dire qu'il n'est qu'une brute sans intérêt ? L'auteur appelle à analyer ce qu'on sait de Néandertal en essayant de ne pas nous prendre comme le mètre-étalon. Par exemple, sur le cannibalisme, Slimak fait remarquer qu'il n'y a guère de doute que Néandertal était cannibable (ce qui lui a souvent été reproché), mais que certains Homo Sapiens modernes l'étaient aussi et que de toute façon ce n'est pas forcément un signe d'animalité, ce cannibalisme étant fortement ritualisé et chargé de sens divers.

Le livre est agréable à lire, avec beaucoup d'exemples concrets et de dissertations intéressantes. Je le recommande pour comprendre la complexité du débat.

Et sinon, du côté des romans, il y a des personnages intéressants de Néandertals dans le cycle de Jean Auel « Les enfants de la Terre » et, en moins documenté scientifiquement, dans la série de Jasper Fforde sur Thursday Next. Dans les deux cas, Néandertal n'est pas un singe abruti, mais il n'est pas non plus un simple clone d'Homo Sapiens.


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Fiche de lecture : Le Puy du Faux

Auteur(s) du livre : Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère
Éditeur : Les Arènes
979-10-375-0590-3
Publié en 2022
Première rédaction de cet article le 5 août 2022


Le parc d'attractions du Puy du Fou est un grand succès commercial, qui attire de nombreux visiteurs. Bon, d'accord, mais le Parc Astérix aussi, et on n'écrit pas des livres à son sujet, pourtant. Mais le Puy du Fou a une autre caractéristique : ses promoteurs prétendent qu'il est historiquement fondé, et qu'on peut non seulement s'y amuser mais en plus apprendre l'histoire. Quatre historiens se sont donc associés pour aller au parc d'attraction et vérifier.

Il y a plusieurs écueils si on veut avoir un regard critique sur l'histoire tendance Puy du Fou. Il y a le risque d'une critique élitiste, faisant fi du succès populaire du parc, méprisant la vulgarisation, et estimant que l'histoire ne doit se traiter que dans de gros livres ennuyeux pour universitaires. Il y a aussi le risque du pinaillage, pointant des erreurs de détails, par exemple sur les dates, et oubliant que le Puy du Fou a une cohérence dans sa vision de l'histoire, et que c'est elle qu'il faut étudier.

C'est ce qu'ont fait les quatre auteur·es, dont au moins deux sont activement engagés dans la vulgarisation de l'histoire, notamment sur les réseaux sociaux (les deux autres aussi, peut-être, mais je ne les connais pas). Ils sont allés au Puy du Fou, ils ont apprécié les spectacles, ils ont pris des notes et ils analysent la représentation historique. S'il y a en effet d'innombrables erreurs factuelles dans les spectacles du Puy du Fou, le plus gros problème est la vision peu historique du parc : une France éternelle, gardant son identité inchangée à travers les siècles, mélange de l'idéologie de l'Ancien Régime et du roman national du XIXe siècle. Par exemple, le spectacle se déroulant en Gaule romaine présente les seuls Gaulois comme ancêtres des Français, comme si la France d'aujourd'hui n'était pas tout autant héritière des Romains. (En prime, le spectacle montre les Gaulois chrétiens et les Romains païens, ce qui ne correspond pas à la réalité de l'époque.) Les auteur·es analysent de nombreux spectacles et la plupart (je vous laisse découvrir les exceptions) présentent la même vision d'une France mythique, qui a peu de rapport avec la réalité et avec les vrais Français des différentes époques.

Critiquer, c'est facile, mais proposer est plus difficile, pourront dire les défenseurs du parc. Mais un des chapitres les plus intéressants du livre est justement celui où les auteur·es se font scénaristes et imaginent quatre spectacles qui gardent ce qu'il y a de bien au Puy du Fou (des animations de qualité et spectaculaires, avec pyrotechnie obligatoire) tout en étant plus rigoureux historiquement. Ainsi celui de l'Antiquité montre les débats et divergences entre premiers chrétiens, alors que le Puy du Fou montre le christianisme, comme il le fait de la France, comme une entité éternelle et figée.

Faut-il aller au Puy du Fou ? Là n'est pas la question. Personnellement, je n'y suis jamais allé mais le livre peut donner envie, les spectacles semblant passionnants et bien faits. Le tout est d'y aller comme à Disneyland, pour la distraction, et pas en prétendant qu'on suit un cours d'histoire.


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Fiche de lecture : Cyber-attaques : l'Amérique désigne ses ennemis

Auteur(s) du livre : Mark Corcoral
Éditeur : L'Harmattan
978-2-343-22452-7
Publié en 2021
Première rédaction de cet article le 4 août 2022


On le sait, l'attribution d'une cyber-attaque (« c'est les Chinois ! ») est un exercice difficile. Il faut analyser l'attaque, parvenir à une certitude et, ensuite, assumer de révéler publiquement l'origine. Comme le répète souvent Guillaume Poupard « L'attribution, c'est politique ». Le livre de Mark Corcoral étudie cette question de l'attribution notamment sous l'angle des accusations par les États-Unis : comment se fait l'attribution publique et suivant quels méandres politiques ?

La phrase de Guillaume Poupard, citée plus haut, a un amusant double sens. Elle dit que ce n'est pas à une agence technique comme l'ANSSI d'attribuer une attaque ; cette attribution publique peut avoir des conséquences et c'est donc au pouvoir politique de prendre ses responsabilités. Mais la phrase dit aussi qu'accuser publiquement tel ou tel pays est aussi un choix politique. Plus cyniquement, on pourrait reprendre la phrase d'un collègue de Topaze : « les coupables, il vaut mieux les choisir que les chercher ». Eh oui, quand un État en accuse un autre, l'accusation n'est pas forcément sincère…

Déjà, se faire une opinion est difficile : contrairement à une attaque physique qui va forcément laisser pas mal d'indices, une cyber-attaque ne laisse pas beaucoup de traces, et celles-ci peuvent facilement être imitées (une chaine de caractères en hébreu dans un logiciel malveillant ne signifie pas forcément que c'est un coup du Mossad, il est trivial d'en copier/coller une). Et l'interprétation de ces IOC peut être délicate. J'ai entendu des analystes expliquer que, comme les opérations de la cyber-attaque étudiée prenaient place entre 9 h et 17 h, heure de Beijing, cela menait à soupçonner les Chinois, comme si l'APL était tenue aux horaires de bureau. Et même une fois qu'on a acquis une conviction, il n'est pas facile d'en convaincre des tiers puisque, presque toujours, ceux qui font l'attribution d'une attaque ne donnent aucune information concrète sur les preuves récoltées (pour ne pas donner d'informations aux ennemis, mais aussi parfois pour cacher la faiblesse des preuves).

Et une fois qu'on a son intime conviction, l'attribution publique n'est pas automatique, elle relève de choix politiques, qui peuvent évoluer. C'est ainsi qu'avant, en gros, 2014, les États-Unis ne se livraient pas à des attributions publiques, avant de changer de politique et de multiplier les accusations. (La Russie et la Chine continuent à ne pas faire d'attribution publique pour des attaques précises, même si ces deux pays dénoncent de façon très générale les cyber-attaques dont ils sont victimes. Ils insistent beaucoup sur la difficulté à produire des preuves convaincantes.) Et à partir de 2017, les attributions faites par les États-Unis ne sont plus unilatérales mais impliquent parfois des pays alliés. Le choix dépend de la culture politique de chaque pays, et de sa conviction que l'attribution publique servira à quelque chose, par exemple en terme de propagande, ou bien pour faire avancer des négociations internationales sur une certaine régulation des attaques ou encore pour intimider un adversaire (« je t'ai vu ! »). Le choix est complexe et l'auteur explique très bien les innombrables questions géopolitiques qui sont liées à l'utilisation (ou pas) de l'attribution publique. Cette analyse des raisons qui poussent à attribuer publiquement est le gros du livre.

Un ouvrage que je recommande beaucoup, pour comprendre la complexité des questions de cyber-attaques et la difficulté des décisions à prendre.

(En plus léger, l'excellente BD « Cyberfatale » tourne essentiellement autour d'une question d'attribution, comment savoir qui a fait le coup et, une fois qu'on le sait, que faire de cette information.)


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Fiche de lecture : Petite histoire de la mondialisation à l'usage des amateurs de chocolat

Auteur(s) du livre : Frédéric Amiel
Éditeur : Les éditions de l'Atelier
978-2-7082-5375-9
Publié en 2021
Première rédaction de cet article le 3 août 2022


Si, comme moi, vous abusez du chocolat, ce livre va peut-être vous être désagréable : il explique l'évolution de la mondialisation pour le cas particulier du chocolat. Ce n'est pas toujours très rose.

On commence évidemment au Mexique, où les conquérants européens découvrent le chocolat (que les Aztèques consommaient sans sucre mais avec du piment) et le rapportent en Europe. La substance suit le parcours de beaucoup d'autres produits rapportés d'Amérique : méfiance (médicale, mais aussi religieuse, quelque chose d'aussi bon doit être une création du diable), engouement, snobisme (rare et cher, le chocolat pouvait être un marqueur de distinction sociale). Puis la faible production mexicaine ne suffit plus et les Européens vont commencer à cultiver le chocolat de manière plus massive. D'abord aux Antilles puis en Amérique du Sud. Mais si on veut produire beaucoup de chocolat, il ne faut pas seulement avoir beaucoup de cacaoyers, il faut aussi traiter les fèves et, à la main, c'est long et difficile. Le parcours du chocolat croise donc celui de James Watt : ses machines à vapeur permettent de commencer à mécaniser le traitement. On n'est plus à la production artisanale, le chocolat est devenu une industrie. On croise dans le livre des entrepreneurs variés, comme Menier, un des promoteurs du paternalisme.

Puis la production de chocolat passe en Afrique. Le livre suit le développement d'une production de plus en plus importante, notamment sur l'ile de São Tomé, puis sur le continent. Un nouveau problème se pose alors : la production, grâce à la mondialisation de la production et à l'industrialisation, est devenue abondante et bon marché. Il faut donc convaincre de nouveaux consommateurs, pour faire du chocolat un produit de masse. Au 19e siècle, l'industrie chocolatière est donc une des plus friandes de publicité. L'exemple le plus connu de publicité pour le chocolat est, en France, le tirailleur sénégalais de Banania.

Et dans les pays producteurs ? Les cours du cacao sur les marchés mondiaux ne sont pas stables et ces pays connaissent des alternances de prospérité et de vaches maigres. Bien des gouvernements, après l'indépendance des colonies, ont cherché à stabiliser la situation, avec des succès variables. Car, entre temps, le cacao était passé des marchés de produits physiques aux marchés financiers. Désormais, au lieu de vendre et d'acheter du cacao, on achète et on vend des titres ayant un rapport plus ou moins lointain avec le cacao. (Note au passage : quand des gens, en 2022, reprochent aux cryptomonnaies d'être « virtuelles » et « déconnectées de l'économie réelle », ils ont quelques dizaines d'années de retard. Cela fait bien longtemps que les échanges sur les marchés sont déconnectés des produits et services.)

L'auteur se penche ensuite sur les alternatives : est-ce que du chocolat bio ou équitable (ou, soyons fous, les deux à la fois) permettrait au consommateur d'avoir de meilleurs produits et aux producteurs de vivre mieux ? La question des labels est compliquée ; certains n'ont guère de valeur car ils sont spécifiques à une entreprise, qui décide des critères et fait leur « vérification ». Difficile pour le consommateur de s'y retrouver !

Bref, un livre très lisible et très pédagogique, expliquant en détail tous les aspects de la production d'une marchandise, dans un monde où c'est devenu très compliqué.


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Fiche de lecture : Frontières.com

Auteur(s) du livre : Nicolas Arpagian
Éditeur : L'observatoire
979-10-329-2134-0
Publié en 2022
Première rédaction de cet article le 3 août 2022


Vous trouvez que la situation géopolitique sur l'Internet est compliquée ? Au moins, le livre d'Arpagian vous permettra d'avoir un tour d'horizon complet d'un certain nombre d'enjeux importants.

Ne lisez pas le quatrième de couverture, qui abuse de sensationnalisme (« les geeks-soldats de la cyber guérilla précèdent désormais les chars d'assaut »), voire d'erreurs (« la Russie construit son propre Internet »). Le livre est plus sérieux. Centré sur le rôle des frontières (pas seulement les frontières entre États, mais aussi celles qu'on s'était imaginées entre des activités que le numérique redéfinit), il a l'avantage de contenir de nombreux faits et données. Il passe en revue beaucoup de questions (sans doute trop, vu sa taille, et sans que ces questions aient de relation claire) : la privatisation, la censure, le pouvoir des GAFA, les mensonges, la cybersécurité, le succès de Léna Situations… C'est sérieux, l'auteur connait son sujet, et il ne prend pas pour agent comptant les clichés, par exemple sur le soi-disant anonymat de l'Internet.

Un livre qui peut être utile pour celle ou celui qui débute son exploration de la politique sur Internet. Vous pouvez aussi vous en faire une idée avec cet interview vidéo de l'auteur.

PS : le titre est un nom de domaine, réservé mais qui ne semble pas utilisé.


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Fiche de lecture : Manual for survival

Auteur(s) du livre : Kate Brown
Éditeur : Penguin Books
978-0-141-98854-2
Publié en 2019
Première rédaction de cet article le 23 juillet 2022


Ce livre est une analyse des conséquences à long terme de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Que se passe-t-il dans une région profondément irradiée ? L'auteure explore en détail le traitement de la catastrophe dans les années qui ont suivi l'explosion du réacteur, en ne se fiant pas uniquement aux déclarations officielles. Un ouvrage évidemment plutôt douloureux à lire, mais qui ne laisse aucun détail de côté.

Tout le monde connait la catastrophe qui a vu l'explosion d'un réacteur nucléaire à Tchernobyl le 26 avril 1986. On ne mentionne souvent que ses conséquences à court terme (la mort des « liquidateurs », qui sert à des affirmations trompeuses comme « la catastrophe n'a fait que 31 [le chiffre varie] morts ») mais le livre de Brown se concentre sur des conséquences à plus long terme, moins spectaculaires. Et il n'est pas facile de mesurer ces conséquences à long terme. Prenons l'exemple du cancer de la thyroïde. On en observe chez des enfants dans la région. Mais il y a aussi des cancers de ce type en l'absence de contamination radioactive. Sont-ils plus fréquents après l'accident de la centrale ? La statistique est une science difficile. (Comme on l'a vu récemment avec la pandémie de Covid-19, qui a vu le retour de déclarations anti-statistiques du genre « mon beau-frère n'est pas vacciné, et bien il n'est pas tombé malade ».)

Et il est d'autant plus difficile de répondre à la question que l'accident s'est produit dans un pays où le système de santé était loin d'être parfait, avec une collecte peu fiable des données (et le cancer de la thyroïde est apparemment délicat à diagnostiquer). En outre, il y avait sur place une radioactivité artificielle qui n'était pas due à cet accident, mais qui provenait des essais nucléaires atmosphériques et d'autres accidents (l'URSS traitait la sécurité nucléaire avec beaucoup de légèreté). Bref, le traitement de ces données n'est pas évident. Toutefois, il est clair que la radioactivité sur place est plus importante que ce qui avait parfois été raconté par les autorités, et que les maladies sont bien en augmentation.

Une autre difficulté statistique que décrit bien l'auteure est que la radioactivité est très variable d'un endroit à l'autre, et ne s'en tient pas aux traits tracés sur la carte (« ici, évacuation nécessaire, ici, ça peut aller »). Un jardin portager peut être contaminé et celui d'à côté rester peu touché. Un exemple particulièrement frappant est donné par l'auteure où des cueilleuses vont récolter des myrtilles dans une forêt et où chaque panier est mesuré pour déterminer sa contamination radioactive. Bien que récoltés dans la même forêt, ils sont très différents. Et, pour rester en deçà des normes de radioactivité acceptable, l'organisateur décide de mélanger les myrtilles des paniers relativement sains avec celle des paniers contaminés, diluant ainsi la radioactivité jusqu'à ce qu'elle reste en dessous du seuil…

Le livre décrit également longuement les réactions des autorités dans les années ayant suivi la catastrophe. Tchernobyl est en Ukraine mais proche de la Biélorussie. Dès l'accident, avant même la fin de l'URSS, les autorités ukrainiennes et biélorusses avaient traité le problème très différemment, la Biélorussie choisissant de largement nier le problème, y compris en confisquant les compteurs Geiger (pas de mesures, pas de problème…). La controverse n'est évidemment pas purement scientifique et Brown décrit longuement toutes les manœuvres des autorités pour cacher, ou relativiser, les faits gênants. Et Moscou s'en mêlait également, mais pas de façon uniforme : dans ces années de perestroïka, l'État soviétique partait déjà à vau-l'eau et tout le monde n'avait pas, et de loin, les mêmes idées sur comment faire face au problème. (À un moment, ce sont des médecins du KGB qui mettent en évidence les mensonges rassurants des autorités : vu les privilèges du KGB, ils avaient une meilleure clinique et du meilleur matériel, et savaient donc bien ce qu'il en était.)

Ah, et en parlant de géopolitique, l'auteure met aussi en évidence une curieuse complicité entre l'URSS et les USA. Malgré le fait que la guerre froide n'était pas finie, pas mal d'intervenants étatsuniens sur place soutenaient le discours officiel soviétique comme quoi les conséquences de l'accident n'étaient pas si graves que ça. Ce n'était pas forcément par confiance aveugle dans leurs collègues soviétiques, mais aussi peut-être par crainte que l'image de marque des filières nucléaires (civiles et militaires) ne souffrent trop de l'accident.

Bref, un livre à lire, pour celui ou celle qui veut approfondir les controverses politico-scientifiques, et apprécier la complexité des faits.


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Fiche de lecture : La folle histoire des virus

Auteur(s) du livre : Tania Louis
Éditeur : humenSciences
978-2-3793-1194-9
Publié en 2020
Première rédaction de cet article le 26 juin 2022


Je recommande ce passionnant livre de Tania Louis qui fait le tour de la question des virus, un sujet d'actualité (mais le livre a été largement écrit avant la pandémie de Covid-19, dont il ne parle pas).

Première chose que j'ai apprise dans ce livre : la virologie, c'est compliqué, d'autant plus que, régulièrement, des découvertes remettent en cause ce qu'on croyait avoir bien établi. Ainsi, la règle que les virus soient plus petits que les bactéries ne tient plus depuis la découverte des mimivirus.

Deuxième chose, la question de savoir si les virus sont vivants ou pas. L'auteure estime que, oui, plutôt, on peut dire qu'ils sont vivants, mais cela dépend évidemment de la définition exacte qu'on donne de la vie, et les virus, comme vu plus haut, ont tendance à défier les classifications trop rigides (j'ai d'ailleurs été surpris par la première partie de ce livre, qui ne parle pas avant longtemps de biologie, mais qui explique cette question de la classification). Au moins, les virus obligent à se poser des questions sur ce que l'on croit savoir de la vie. L'auteure note, par exemple, qu'on se focalise peut-être trop sur la particule virale, alors que le « vrai » virus est plutôt ce qui est actif dans la cellule.

Troisième découverte (pour moi), les virus ne sont pas forcément néfastes. On a bien sûr surtout étudié ce qui causaient du mal aux humains ou à l'agriculture. Mais il existe de nombreux virus, qui ne sont pas forcément dangereux.

Mais cela ne veut pas dire qu'ils sont inactifs. Les virus sont bien équipés pour faire passer des gènes d'un organisme à un autre et c'est un puissant coup de main à l'évolution. Un organe comme le placenta, si utile à nous autres mammifères placentaires, semble bien devoir son existence à des virus.

Les virus peuvent aussi aider les humains par l'action qu'ils ont contre certains de nos ennemis. Des virus infectent et tuent des bactéries dangereuses, par exemple. Ces bactériophages ont été au début du vingtième siècle considérés comme un moyen prometteur de lutter contre les infections bactériennes (travaux de Félix d'Hérelle, personnage passionnant). La mise au point des antibiotiques a fait un peu oublier les virus bactériophages, sauf dans le bloc de l'Est que la guerre froide tenait un peu à l'écart des exportations étatsunienne, comme le Coca-Cola ou les antibiotiques. L'apparition des résistances aux antibiotiques redonne leur chance aux bactériophages qui seront peut-être d'utiles alliés.

Le livre détaille plusieurs aventures où la science est faite par des êtres humains, avec leurs qualités, mais aussi leurs défauts. À propos de Rosalind Franklin, par exemple, l'auteure explique bien le processus compliqué de la recherche scientifique et pourquoi il est faux de présenter Franklin comme ayant fait tout le travail sur l'ADN seule (légende courante aujourd'hui), tout comme il était erroné de l'avoir complètement oubliée pendant de nombreuses années.

Comme le note l'auteure, la virologie évolue sans cesse, dépêchez-vous donc de lire ce livre avant qu'il ne soit plus d'actualité.


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