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Dangers sur l'Internet

Première rédaction de cet article le 11 janvier 2010


Tous les jours, des articles sensationnalistes nous informent de la proximité d'une cyberguerre, de la vulnérabilité technique de l'Internet et du risque que celui-ci soit détruit par une attaque des méchants chinois, russes ou indiens. À en croire ces articles, tout le monde devrait se serrer les coudes faces à ces ennemis et oublier tous les autres problèmes.

Mais les principaux dangers qui menacent l'Internet ne viennent pas forcément d'asiatiques lointains. Mettre en avant ces dangers extérieurs sert surtout à faire oublier les risques plus proches mais plus immédiats. Aujourd'hui, l'Internet et, surtout, les libertés qu'il permet, sont menacés avant tout par les pouvoirs en place, gouvernement et patronat.

Du côté du gouvernement, l'offensive est générale. Je ne parle pas de pays dictatoriaux qui censurent depuis longtemps sans que cela ne gêne personne, comme la Tunisie ou l'Arabie Saoudite. Mais l'offensive contre les libertés vient aujourd'hui surtout de pays dits démocratiques. La Grande-Bretagne et l'Australie (comme annoncé par le gouvernement) sont aujourd'hui en pointe dans la censure de l'Internet. La France, sous la direction de Sarkozy cravache pour les rejoindre. D'un côté, des lois répressives, justifiées par les fameux pédophiles / nazis / djihadistes que, comme chacun sait, on trouve partout sur l'Internet. C'est le cas des lois LCEN et Loppsi. Comme personne n'ose dire ouvertement que la pédophilie sert surtout de prétexte (voir à ce sujet l'excellente étude de l'APC), le gouvernement peut tranquillement déployer loi liberticide (LCEN : obligation pour les opérateurs de garder des traces de l'acivité des Iinternautes) après loi liberticide (future Loppsi : obligation de filtrer ce qui déplait au gouvernement, via DNS, BGP ou autre technique).

« I worry about my child and the Internet all the time, even though she's too young to have logged on yet. Here's what I worry about. I worry that 10 or 15 years from now, she will come to me and say 'Daddy, where were you when they took freedom of the press away from the Internet?' » - Mike Godwin, Electronic Frontier Foundation.

Toutes les lois ne visent pas qu'à permettre à la police de tout contrôler et d'arrêter ce qui lui déplait. Certains ont aussi pour but de continuer à assurer aux amis du Fouquet's une rente de situation, comme la récente Hadopi. L'industrie du divertissement est mal à l'aise devant les évolutions techniques ? Faisons des lois pour elle, pour lui accorder des privilèges exorbitants, pour lui permettre de ne pas avoir à changer et subventionnons la, pendant qu'on y est. Ainsi, on trouvera quelques vieilles gloires, rebaptisées « artistes », pour soutenir publiquement Sarkozy. Autrefois, les artistes signaient des pétitions contre Pinochet ou pour défendre les pandas, maintenant, ils ne parlent dans les médias que pour défendre leur gagne-pain. Triste fin de race.

Dans un « État de droit », il n'y a pas que les lois qui façonnent ce qu'on peut faire et ne pas faire. Il y a aussi les décisions du patronat. Sans que des lois ne l'ai imposé, beaucoup de décisions prises par certains patrons d'opérateurs techniques ont sérieusement érodé les libertés dont on dispose sur Internet. Par exemple, on met des conditions d'utilisation ultra-restrictives (pas de VoIP, pas de pair-à-pair), comme c'est presque toujours le cas pour les accès Internet par mobiles et on filtre. (Sans compter que les terminaux mobiles comme l'ultra-fermé iPhone sont en général les plus contrôlés par les constructeurs, qui ne laissent tourner dessus que les applications qu'ils approuvent.) D'autre part, plusieurs FAI déploient des serveurs DNS menteurs pour amener l'utilisateur sur des pages de publicité à chaque faute de frappe. Enfin, d'autres font de la DPI pour regarder ce que font leurs utilisateurs et les bloquer ou les ralentir à volonté. À chaque fois, la même volonté : ramener l'Internet, fou, incontrôlable, libre, au niveau d'un Minitel 2.0.

Contre cette censure et ces filtrages, on peut déployer des moyens techniques. Ils abondent et on trouve sans peine d'innombrables documentations sur leur installation et configuration (tiens, même moi en ai fait une). De même, une technique comme DNSSEC, pourra permettre de détecter les DNS menteurs, ou bien le filtrage obligatoire de la Loppsi. En raison de ce grand'nombre de techniques disponibles, il est courant de lire que « on ne peut pas censurer l'Internet ». Et certains vont jusqu'à faire des contournements techniques une base pour un quasi-parti politique, ce qui me semble une mauvaise idée.

Les réactions techniques sont utiles, ne serait-ce que parce qu'elles gardent en vie une zone de liberté temporaire (pour parler comme Hakim Bey). Mais elles ont leurs limites, la principale étant qu'elles sont souvent réservées, en pratiques, à une minorité de geeks qui ont les compétences, et surtout le temps libre, pour les déployer. On ne peut pas se satisfaire d'une course aux armements entre pouvoirs en place d'une part, et geeks ravis de jouer aux pirates, course qui rendrait l'architecture de l'Internet encore plus compliquée et fragile, et qui laisserait sur le carreau les utilisateurs ordinaires, qui ont pourtant droit, eux aussi, à ces libertés.

Il faut donc aussi une action politique, qui vise à rétablir et garantir la liberté pour tous. Plusieurs partis, pourtant dans l'opposition, sont paralysés par la peur d'être classée comme « faible face aux pédophiles » ou « ruinant l'industrie du divertissement ». Par exemple, le Parti Socialiste est divisé sur la question (un de ses ténors, Jack Lang, a toujours soutenu cette industrie). Voici donc une liste partielle de prises de positions :

Si vous connaissez des prises de position claires d'autres partis politiques, n'hésitez pas à me les signaler, je les ajouterai. On peut trouver une bonne synthèse dans le questionnaire qui avait été envoyé aux candidats en 2007.

Sur le même sujet des soi-disant « dangers de l'Internet », je recommande l'excellent article de Serge Soudoplatoff.

Pour terminer, je recommande la tirade du pirate M. de Cigognac dans le remarquable tome 9 de l'excellente série « De cape et de crocs ». « Nous ne sortons pas de la cuisse de Jupiter mais des tripes de Neptune ! ... »

Sinon, un excellent article sur cette question est celui de Serge Soudoplatoff.

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