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Qu'est-ce que l'Internet et quand est-on « coupé de l'Internet » ?

Première rédaction de cet article le 20 avril 2022


Mais c'est vrai, ça, c'est quoi, l'Internet ? Pour M. Toutlemonde, ça semble évident, c'est le truc auquel on se connecte via son FAI. Mais pour un pays, que veut dire « être connecté à l'Internet » ? Par exemple, si tous les câbles sous-marins entre l'Europe et l'Amérique étaient soudainement mis hors service, qui serait « coupé de l'Internet » ? Cet article de recherche « What Is The Internet? (Considering Partial Connectivity) » examine la question et tente de lui donner une réponse quantitative.

J'avais regardé cette question dans le contexte militaro-géopolitique dans mon article « Quelles conséquences si les câbles avec les USA étaient coupés ? ». Le point de départ était l'apparition d'articles médiatiques sensationalistes sur l'hypothèse d'une attaque russe contre les câbles sous-marins. Une erreur commune à tous ces médiocres articles était de ne rien comprendre à l'Internet. Ce dernier n'est pas un service auquel on se connecte, c'est un réseau de réseaux. Si les câbles transatlantiques sont attaqués, l'Europe n'est pas « coupée de l'Internet », elle continue à faire fonctionner ses réseaux pendant que l'Amérique le fait de son côté. Mais, alors, où est l'Internet, puisque ce n'est pas un objet physique situé à un endroit précis ? La décentralisation de l'Internet rend la question difficile. Pour reprendre une vieille blague britannique, en cas de coupure de la navigation sur la Manche, c'est l'Europe qui est isolée. 🤣

John Heidemann et Guillermo Baltra s'attaquent à cette question dans un article de 2021, « What Is The Internet? (Considering Partial Connectivity) » (arXiv:2107.11439v1). Ils notent qu'évidemment il y a plusieurs définitions possibles de l'Internet (après tout, certains utilisateurs disent bien que l'Internet est en panne lorsque c'est juste Facebook qui est arrêté). Les débats très confus (comme souvent en politique) sur le thème de la « fragmentation de l'Internet » (ou « Splinternet » pour faire chic) achoppent souvent sur ce point ; par exemple, à partir de quel niveau de filtrage / censure / problèmes techniques est-on réellement déconnecté de l'Internet ? Est-ce qu'une machine qui n'a pas d'adresse IP publique et est donc forcée de passer par un système de traduction d'adresses est bien « connectée à l'Internet » ? Et, s'il y a fragmentation en N morceaux, quel morceau est « l'Internet » ?

Les auteurs tranchent clairement la question : ils proposent de dire que l'Internet est l'ensemble connecté des adresses IP publiques qui peuvent joindre plus de la moitié des adresses IP publiques actives. Il y a, en plus de l'Internet ainsi défini, des iles (des réseaux connectés entre eux mais qui ne peuvent pas joindre l'Internet) et des péninsules (des réseaux qui peuvent joindre certaines des machines de l'Internet mais pas toutes).

La définition des auteurs fait qu'il n'y aura pas d'ambiguité : si un réseau a plus de 50 % des adresses IP publiques actives, il sera l'Internet. Si aucun réseau n'atteint ce seuil, on considérera qu'il n'y a plus d'Internet.

Les auteurs notent qu'aucun pays n'a à lui seul plus de la moitié des adresses IP publiques (même les États-Unis en sont loin) et que toute sécession d'un pays le laisserait donc en dehors de l'Internet ainsi défini. Ah, et en cas de coupure de tous les câbles sous-marins laissant d'un côté un bloc Amérique et de l'autre un bloc Eurasie, c'est ce dernier qui serait l'Internet, il aurait bien la majorité des adresses.

Les problèmes de joignabilité, qui créent iles et péninsules, peuvent avoir de nombreuses causes. Il peut s'agir d'une panne (et l'ile ou la péninsule sont alors temporaires), d'un conflit commercial entre deux opérateurs qui refusent de s'appairer (et cela peut durer longtemps) ou bien d'une action délibérée, par exemple d'un État qui veut priver sa population d'information. (Mais attention à ce qu'on lit dans les médias, c'est souvent plus compliqué que ce qu'ils racontent.)

L'article d'Heidemann et Baltra va ensuite partir à la recherche de ces iles et péninsules en utilisant les données de Trinocular. Trinocular a plusieurs points de mesure (VP, pour vantage point), ce qui est évidemment essentiel pour les mesures Internet, puisqu'une machine peut être joignable depuis certains endroits mais pas d'autres. Mais il ne couvre pas tout et peut donc prendre une péninsule pour une ile, par exemple. L'article décrit ensuite les iles et péninsules observées, et leur durée.

Bref, un excellent article, très concret et détaillé, apportant de l'information précise au débat.

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